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Parcours de vie : Valery Grancher

Nourrisson, je refusais le contact de ma mère, je refusais le sein, je ne supportais pas que l’on me touche, faute de quoi je hurlais.

Entre 18 mois et 3 ans, j’adorais que l’on me parfume, et quand on me disait que je sentais bon, je pinçais le nez de la personne et avec mes doigts, je faisais comme si je ramenais l’odeur de la personne sur moi : en pinçant le nez et les trois doigts joints (pouce, index majeur), je me touchais en différents point de là où l’on m’avait ‘reniflé’ pour recoller mon odeur. Au niveau du langage, je me mis à parler très tard sans babillage, en passant du silence à un débit sans fin articulé. J’avais également une hypersensibilité tactile : Je ne supportais pas que l’on me touche, que l’on m’embrasse, je repoussais les personnes assez violemment. Ma mère l’a très mal vécu, et ce rejet de ma part la marquera à jamais, dans les années futures de nos relations. J’avais également une hyper-sensibilité olfactive que j’ai gardée à ce jour : je sens toutes les odeurs, les pires comme les meilleures, à tel point que j’ai souvent l’impression d’avoir un flair canin. Afin de masquer ces bouquets d’odeurs, je parfume tout (moi-même, l’intérieur de mes sacs, mes vêtements, ma voiture, mon intérieur), je parfume tout pour construire un environnement olfactif agréable à mon nez, ce qui peut être troublant pour mon entourage.

De l’âge de 18 mois à 7 ans, j’avais une hypersensibilité auditive que j’ai totalement perdue :

On vivait en Guadeloupe dans les années 70, et on allait voir les avions décoller de la terrasse de l’aéroport de Pointe à Pitre. Mon père remarquait que je supportais très bien les bruits des décollages des avions ainsi que des atterrissages, mais dès que les réacteurs tournaient au ralenti, je me plaignais de bruits extrêmement douloureux à mes oreilles au point de me recroqueviller sur le sol en tamponnant mes mains sur mes oreilles au plus fort. Ces épisodes pénibles à mes parents, m’ont amené à l’hôpital pour des tests auditifs. Et qu’elle ne fut pas la surprise des médecins incapables de donner des explications sur ce qu’ils avaient notés, à savoir mon extrême sensibilité aux ultrasons.

Fils ainé d’instituteurs, je fis ma scolarité primaire avec deux années d’avance : je passais des heures à contempler des ombres, des rayons de lumières et leur diffractions au travers des fenêtres, ce qui me valait en permanence des doutes de la part de mes enseignants sur ma santé mentale alors qu’en même temps j’avais les meilleurs résultats de la classe.

Tout au long de ma scolarité, je ne fus jamais socialisé, j’étais le mouton noir, j’étais seul dans les cours de récréation et souvent le souffre douleurs du fait de l’étrangeté de mes comportements, mes dandolinnements sur les chaises en classe, mes regards dans le vide sans entendre l’enseignant qui me rappelait à l’ordre, et le fait d’être le premier de ma classe en même temps. Je détestais les sports collectifs (ce qui est toujours le cas à ce jour) si bien que je jouais sous la contrainte et faisais perdre mon équipe ce qui provoquait un grand nombre d’inimitiés.

Bref cela courra également au collège, où ma réponse à ce rejet fût la violence. Et durant toutes mes années lycées, je me contentais de passer en classe supérieure en travaillant le minimum et à emmerder le monde (comme je me le disais), c’était l’époque du PUNK et ce principe de No future me collait bien pour le plus grand désarroi de mes parents… Car en plus de tout cela j’ai commencé l’expérience des drogues (et c’est à ce moment que j’ai perdu mon hypersensibilité auditive à cause des walkmans): je prenais tout ce qui se consommait sans se piquer, je n’ai jamais supporté les piqûres . Ce qui m’a sauvé de l’héroïne sinon je suis sur que j’en aurais pris. Durant toutes ces années d’adolescence, en plus du fait que je rejetais tous groupes, toutes règles sociales qui me paraissaient ineptes, y compris les règles familiales et l’autorité parentale: les papouilles des uns et des autres m’insupportaient.

Je ne vais pas m’étendre sur mon enfance et adolescence, c’est juste pour expliquer de là où je viens…

A l’époque on ne connaissait pas et on ne parlait pas du syndrome d’asperger ! J’étais qualifié de personne extrêmement caractériel, maniaque mais on ne parlait pas d’autisme… Mon père voyait bien que j’avais certaines aptitudes et il n’a cessé de les solliciter en bon pédagogue. J’ai commencé la peinture à l’huile à l’âge de 8 ans, et cette pratique ne m’a jamais quitté. La pratique de cet art était la seule qui renvoyait de la part d’autrui un retour positif et qui me permettait une forme de socialisation. Car pour le reste, j’étais toujours rejeté, jamais invité, une sorte de mouton noir agressif venant d’une autre planète…

J’étais dans un état d’anxiété permanent, je me suis rongé les ongles jusqu’aux sangs jusqu’à l’âge de 40 ans.

J’ai repris après quelques années de galère entre 20 et 25 ans des études sur ‘œuvres et publications’. En effet durant ces années ma pratique artistique commençait à être reconnue sur le plan international. J’étais un des 5 premiers artistes au Monde à utiliser internet comme média artistique c’était en 1994, et en 1997 je me retrouvais à la Documenta X de Kassel, une des manifestations internationales d’art contemporain les plus prestigieuses au Monde. Fort de cela j’ai pu intégrer différents troisième cycles à l’Université : les Beaux Arts de Paris pour la dernière année, un DESS d’ethnométhodologie à Paris VIII, un DESS d’informatique à Paris VIII, et Telecom Paris ENST (master). Je réussissais avec brio tous ces diplômes, et cela me permettait d’avoir tous les outils conceptuels pour appréhender les interactions humaines qui échappaient totalement à ma compréhension. Ainsi durant toute ma vie, j’ai eu une gourmandise effrénée pour toutes les sciences humaines (que je croise d’ailleurs dans ma pratique des arts plastiques) : psychanalyse lacanienne, anthropologie, sociologie, philosophie. J’ai toujours eu une grande facilité à lire des essais très pointus, alors que les romans m’ennuyaient à quelques exceptions près, au plus haut point….

C’est pourquoi de la fin de mes études en 1996 jusqu’ à 2005 j’ai mené en parallèle d’une carrière artistique, une carrière d’éditeur électronique aux Editions du Seuil, en lançant des projets tels que l’édition électronique du fonds Roland Barthes et Jacques Lacan au travers d’un moteur de recherche sémantique basé sur les concepts propres aux auteurs et scannant la totalité de leurs fonds numérisés. Ces années m’ont énormément formé, et beaucoup aidé. C’est comme cela que je suis entré à cette période en psychanalyse pour une période de 7 années afin de comprendre le rejet que j’avais de ma mère qui me le rendait bien …

Toutes lectures devaient et doivent encore à ce jour, me fournir des outils conceptuels à la compréhension de mon environnement…

Ainsi j’intellectualise tout : les relations et interactions humaines, ainsi quand une personne me fait part de sa douleur relationnelle, je ne sais la consoler, et je n’aurais jamais le geste de la prendre dans mes bras pour un ‘big hug’… Je ne sais pas faire cela, et je suis dans un profond malaise et inconfort, alors pour compenser je décrypte tout, lui explique les motifs que je vois dans la dite relation, et ai une vision totalement analytique ce qui est totalement déphasé avec son ressenti…..

Le fait d’exercer un travail et une double carrière de cadre dirigeant ingénieur et artiste contemporain m’a permis d’avoir les clefs de lectures des relations humaines que je décrypte au travers de schémas, et de patterns. En effet, tout passe dans mon esprit par le biais de motifs et patterns, je ne sais avoir une vision globale, j’ai une vision de la complétude des choses desquelles je vais voir apparaître des motifs que je vais pouvoir lier à d’autres et qui vont me permettre d’appréhender la dite interaction humaine. Tout passe par le biais de calcul, et cela est parfois très éprouvant et fatiguant, et quand je suis pris de cette fatigue je rentre dans une grande misanthropie et dépression.

Je n’aime pas les groupes, j’ai une phobie des mouvements de foules dans les rues, et des queues à l’entrée des night clubs par exemple. Si parfois j’aime aller danser, je danse seul au milieu de tous, je ne comprends pas et n’arrive pas à me synchroniser avec l’euphorie collective… je deviens spectateur de cela…

Toute sortie m’angoisse à l’avance, je me déroule des scénaris à l’avance pour faire bonne figure et cela est très éprouvant. J’ai toujours ces moments contemplatifs sans fins, aussi afin de ne pas passer pour dingue, je créée les conditions adéquates à cela : ainsi la pêche est un excellent alibi pour s’isoler en pleine nature seul !

Aujourd’hui j’ai appris à vivre avec mon autisme que je n’ai pu nommer qu’il y a 3 ou 4 ans, au cours de mes différentes lectures sur le syndrome d’asperger, je développais au regard de mon vécu une forte intuition du fait que j’en sois atteint. Car je voyais bien ma différence, et on me le faisait sentir, mais comment la comprendre, on perçoit différents éléments comme un puzzle en désordre, et puis dans une premier temps un auto-diagnostic sur internet, puis à l’institut Pasteur m’a permis d’assembler toutes ces pièces …

J’ai un quotient autistique de 158/200, un QI de 135, et le simple fait d’identifier ma différence m’a été d’un immense soulagement et m’a permis de dénouer bien des choses très profondes comme les relations avec ma mère que j’ai perdue en Avril dernier.

Si on ne guérit pas de l’autisme, on apprend à vivre avec, on s’adapte, on cache sa différence par une attitude ‘caméléon’. Cela ne m’a pas empêché d’avoir deux vies de couples de 15 ans et 10 ans, et ni d’être père d’un fils magnifique de 14 ans neurotypique !

Si ce syndrome était la cause de toutes mes souffrances dans la première moitié de vie, maintenant que j’aborde la deuxième je fais de ma différence une force !

Ce ne fut pas simple de faire mon ‘coming out’ une fois diagnostiqué : donnerait on en France les responsabilités que j’ai dans mon travail à un autiste ? Je ne le crois pas…

Ainsi j’ai toujours refusé toutes connexions professionnelles sur Facebook, où j’ai fait mon coming out ! En effet mon réseau est essentiellement mon réseau artistique. Et je pense que ce syndrome peut être une clef de lecture de mon travail, et cela est beaucoup plus admis pour un artiste. Cela nourrit le cliché du mal être romantique de l’artiste ! et puis entre artiste et autiste, il n’y a qu’une lettre de différence !

Et chose étrange au sujet de ma relation avec ma mère, si nourrisson je la rejetais, notre relation s’est inversée à la fin de sa vie : atteinte de la schlérose latéro amyotrophique SLA (maladie de Charcot), elle a vue tous ses organes se paralyser tout en gardant toutes ses capacités cognitives. Elle était enfermée dans son corps en ayant perdu le langage, il ne lui restait que les yeux, ainsi face à moi ma mère a fini dans une forme d’autisme…Et pour moi, ou le regard est le fondement de mon travail (artiste plasticien), cela est un motif en soi.Ici retrouvez la vidéo de Valery Grancher sur son parcours de vie.

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