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La vérité sur l'autisme de Kanner

                                                                                              Par Weirda

 

En réalisant un travail sur les problèmes alimentaires dans l'autisme, je me suis interessée aux premières descriptions de Léo Kanner. J'ai découvert un écrit d'un très grand intérêt, que j'ai souhaité partager avec vous car nombreuses sont les idées reçues sur l'autisme dit "de Kanner". Je crois qu'une fois de plus, voilà un écrit qui nous  montre que ce type d'appelation a bien peu de sens.

 

On entend souvent parler de Kanner mais peu de personnes savent quels ont vraiment été ses travaux.

Léo Kanner a décrit l'autisme (et donné cette appellation) pour la première fois en 1943, de manière concomitante à Hans Asperger.

Son écrit est très précis et d'une grande richesse ; il décrit 11 enfants (dont 3 filles) avec des profils autistiques très variables (allant jusqu'à ce que l'on nommerait aujourd'hui « syndrome d'asperger ») et qui ont eu des évolutions très variables également : si certains sont restés non verbaux, voire ont régressé (généralement ceux qui ont été placés en hôpitaux, et Kanner avait déjà relevé cela...), d'autres ont pu s'intégrer à la société, avoir un emploi stable (ceux qui ont généralement eu un environnement riche et stimulant). Par ailleurs, Kanner décrit aussi quelques parents des enfants, au travers desquels nous pouvons percevoir parfois des traits autistiques flagrants. Enfin, s'il parle bien d'un éventuel rôle de l'attitude parentale, il balaye aussi rapidement cette idée qu'il ne l'évoque et semble pencher dès le départ par le caractère inné de l'autisme. (Dans son écrit de 1971, il ne parle d'ailleurs plus que des pistes biochimiques et génétiques de l'autisme).

 

 

Le premier patient qu'il décrit est « Donald T ». Il peut avoir une vision globale notamment grâce à un écrit très détaillé du père de l'enfant.

Contrairement à bon nombre d'idées sur l'autisme typique, que l'on a souvent appelé « autisme de Kanner », il n'est pas question pour Donald T, d'absence ou de retard de langage, puisque ce dernier chantait parfaitement certaines chansons à 2 ans et avait parfaitement mémorisé des noms, des comptines... à l'âge de 3 ans. Pour autant, il était très clair que Donald T avait des problèmes de communication verbale (parlait avec des mots isolés, peu de questions, répétitions, inversions pronominales et compréhension très littérale du langage …) et non verbale (ne regardait pas dans les yeux, n'utilisait pas de gestes)

Par ailleurs, ses différences sociales étaient très marquées : préférence pour la solitude, désintérêt pour autrui (et préférence pour les objets); il donnait l'impression d'être dans son monde. Les stéréotypies étaient également présentes (balancement de tête, mouvement de doigts), tout comme les particularités sensorielles (intérêt particulier pour le mouvement d'objets – aversion pour la balançoire, le tricycle ; intérêt pour le bruit de certains objets, difficultés alimentaires), les rituels (autant sur les actions que sur la parole) ainsi que les intérêts restreints, qui malgré tout changeaient souvent (donc des intérêts plus « intenses » que « restreints »). Beaucoup d'exemples d'écholalies sont également décrits (il répétait « comme un perroquet »).

Donald réalisait des classifications d'objets.

Il avait également une très bonne reconnaissance des visages et des portraits (la prosopagnosie n'étant pas l'apanage de tous les autistes, contrairement à ce qu'on pourrait penser).

Il pouvait être enclin a de très fortes crises de colère lorsqu'on le perturbait dans ses jeux ou dans ses routines, par exemple.

Donald a été un enfant qui a été fortement sollicité, mis en contact avec d'autres . Des améliorations ont été notées car Kanner écrit qu'à l'âge de 6 ans  « il montrait sa déception quand on le contrariait » et « manifestait clairement son plaisir quand on le félicitait » (ce qui fait clairement partie des compétences en communication sociale ; or on décrit parfois les autistes comme incapable de faire cela, de manifester ce type d'émotions...)

Par ailleurs, Donald « invente des histoires » et « joue au marchand avec des provisions ». Là encore, il est communément admis que les autistes sont incapables de cela (et parfois certains professionnels peuvent baser leur diagnostic là dessus : « il joue : il ne peut pas être autiste ! »). Or il n'en est rien ; je crois qu'il faut bien faire la différence entre le fait que les autistes vont avoir une préférence pour certaines activités, pour l'aspect sensoriel des choses ; pour autant, certains peuvent apprendre à faire certains jeux de rôles (donc à fortiori à s'intégrer plus ou moins dans la société) et/ou être très créatif dans l'invention de certaines choses, même d'histoires !

 

J'ai été frappé également par la description de l'adaptation de Donald à l'école où « il participait et répondait », où « il ne pousse pas de cris perçants et reste à sa place ». Beau témoignage de l'adaptation dont peuvent être capable certains autistes. Cela demande beaucoup d'efforts et tous ne sont pas capable de cela, mais certains y arrivent et peuvent passer presque inaperçus de la sorte. Il semblerait que son intégration à l'école l'ait fait énormément évolué puisqu'à la suite de cela, il pose beaucoup plus de questions, il a « davantage conscience des choses qui l'entourent » et « participe réellement aux jeux avec les autres enfants ».

 

Ainsi, malgré les difficultés sociales, on peut constater que certains enfants autistes, à un moment donné, peuvent être plus enclins à aller vers l'autre. Je crois qu'il est important de le noter car certains confondent l'autisme avec le désintéressement total pour autrui. Certes, le désintéressement existe souvent chez les autistes, mais il n'est pas toujours immuable.

 

Bien sur, malgré cela les comportements autistiques de Donald demeurent, mais on peut constater qu'il n'est pas du tout l'autiste non verbal et avec déficience intellectuelle que certains s'imaginent lorsqu'on parle d'autisme de Kanner.

 

Par ailleurs, à travers l'écrit de Kanner, on peut déjà s'interroger sur la piste génétique dans l'autisme : le père de Donald T avait envoyé à L. Kanner un écrit de 33 pages sur son fils, rempli de « détails obsessionnels » ; en outre, Kanner décrit le père comme quelqu'un de très travailleur, consciencieux, respectueux des règles, des prescriptions du médecin (« à la lettre »). Il décrit également d'autres parents de ses patients : un autre père « légèrement obsessionnel », apparement brillant, et qui a « parlé tard ». Dans les descriptions des parents (ainsi que grand-parents, oncles, tantes ou encore fratrie), les caractères obsessionnels sont très fréquents, les difficultés sociales sont souvent présentes, tout comme les difficultés dans la gestion des émotions. Les retards de langage peuvent également être présents.

Les parents de ces enfants appartiennent fréquemment au milieu médical (un grand nombre de psychiatres – 4 pères sont psychiatres sur les 11 enfants !- et psychologues)Kanner note lui même que ces enfants sont issus de familles de gens « très intelligents ».  Curieux...ou pas... Est-ce pour cette raison qu'ils ont été davantage interrogés par les comportements atypiques de leur enfant ? (en effet, on pourrait aisément imaginer que des familles plus démunies/ d'un niveau social moins élevé puissent également avoir des enfants autistes, sans forcément les amener à un spécialiste...)

 

Même si Kanner note que les parents ne sont pas forcément chaleureux, il spécifie que le fait que les troubles apparaissent tôt rend difficile d'attribuer le tableau autistique à l'attitude des parents et penche plutôt pour une problématique « innée », « biologiquement prévue »

 

 

A la suite de cette première description, Kanner décrit d'autres enfants avec un certain nombre de traits communs : incapacité à établir des relations, repli autistique, difficulté à capter l'attention de l'enfant, échec d'anticipation, capacité de parler mais problèmes de communication : écholalie retardée, sens littéral (peu d'accès à l’aspect sémantique et conversationnel de la communication) et pronoms inversés, parfois des spécificités dans l'inflexion de la voix, très bonne mémorisation de comptines, de listes ou de choses en lien avec les intérêts de l'enfant (qui ne sont pas toujours les nombres!), problèmes avec la nourriture (pour 6 enfants sur 11), particularités sensorielles (liées au bruit, au mouvement...), obsession de la permanence, anxiété fréquente, limitation de la variation de l'activité spontanée (intérêt spécifiques), intérêt plus marqué pour les objets que pour les personnes, potentialités cognitives indéniables, réactions émotionnelles fortes, manque d'expression d'émotions sur le visage fréquente et parfois spécificités motrices (un peu gauches).

Chez certains enfants, on retrouve également le besoin de perfectionnisme, ou encore des réactions agressives.

Sur le plan cognitif, Kanner observe déjà que ces enfants sont difficile à évaluer, notamment du fait du manque d'attention qu'ils peuvent porter à l'activité proposée. Certains lui étaient amenés et tenus soit disant pour déficients mais il ne pensait pas cela et ne faisait pas forcément, passer les tests car il savait que ceux -là n'étaient pas adaptés à ces enfants et ne donneraient rien.

D'autres parviennent à passer les tests, parfois avec brio, comme le cas d'Alfred qui a été évalué avec un QI de 140 mais qui pourtant n'aura pas réussi à mener une vie ordinaire (ainsi, même si un haut potentiel peut palier certains troubles autistiques, ce n'est pas toujours le cas, et cela dépend certainement à la fois du degré d'autisme de la personne et de son environnement!)

On trouve également des différences chez ces enfants: l'un est fasciné par les roues, l'autre à une aversion pour cela ; l'un aura développé des aptitudes langagières de manière précoce, l'autre sera resté muet toute sa vie (3 sur 11 sont restés mutiques ; plusieurs d'entre eux ont d'ailleurs été vu comme sourds dans un premier temps du fait qu'ils étaient muets et ne réagissaient pas aux appels), certains auront pu travailler, d'autres seront restés en institution, deux étaient épileptiques etc.

 

Ainsi, ces descriptions, bien que datant de 1943, nous montrent déjà qu'il y a « autant d'autisme que d'autistes » et qu'il y a bien un « spectre de l'autisme » avec des degrés et des variations diverses.

 

Par rapport aux données sur ces enfants devenus adultes, et comme je l'ai déjà évoqué, on peut observer que le devenir de ces enfants a été très variable : certains sont parvenus à faire des études (comme Donald T), et à s'intégrer dans la société tout en gardant des caractéristiques autistiques marquées (rituels, manque de communication sociale...) ; ceux-ci font souvent des « employés remarquables » ! D'autres en revanche n'ont pas pu si bien évolué; parfois, certains ont même régressé et c'est souvent le cas de ceux qui sont passés en institution et qui y sont finalement restés.

Léo Kanner note bien cette diversité très importante dans l'évolution et le fait que le placement en hôpital a probablement été néfaste pour ces enfants (même s'il reste précautionneux en disant qu'on ne peut pas l'attester avec certitude)

Il me semble important de noter que certains, malgré le fait qu'ils soient restés non verbaux tout au long de leur vie, ont pu apprendre certaines choses et se rendre très utiles (Herbert par exemple, qui n'a pas fini en foyer ; et apportait son aide aux personnes âgées là où il vivait : apport des repas, promenade...).

 

Je trouve que cet écrit est particulièrement intéressant et est au final presque avant-gardiste par rapport à la France actuelle. On se demande comment la prise en charge de l'autisme a pu être si mauvaise en France alors que les premières description de l'autisme par Kanner peuvent soulever beaucoup d'interrogations sur la prise en charge en institution...

 

 

Pour lire le texte original de Kanner en anglais: "Autistic disturbances of affective contact", cliquer ici!

 

Pour lire la traduction de ce dernier par l'arapi, cliquer ici!

 

 

Un article complémentaire ICI!

 

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