Autisme Regards Croisés
Le Syndrome d'Asperger et l'empathie : Mon fils a les deux
6 août 2013, 15:37
Réfuter l'idée que les Aspies n'ont pas d'empathie
Ce n'est que récemment que j'ai compris d'un seul coup ce concept. Quand les médias racontaient que l'absence d'empathie était la "caractéristique principale" (et erronée) du Syndrome d'Asperger, et en la comparant à celle d'un sociopathe, j'ai compris... minute ! Je savais dans mes tripes que ça n'était pas vrai. Juste avant, j'aurais, moi aussi, dit la même chose.
Le Diagnostic and Statistical Manual (DSM-IV), où les critères pour un diagnostic du trouble d'Asperger est précisée, ne spécifie pas l'absence d'empathie. Au contraire, les critères parlent d'un « manque de réciprocité sociale ou émotionnelle ». Ce qui est souvent interprété comme une absence d'empathie.
Qu'est-ce qui se passe : la cause
Le Syndrome d'Asperger est un trouble neurologique du développement. Principalement, mais pas exclusivement, sont touchés le cortex préfrontal ; responsable de la pensée abstraite et de la modération du comportement « adéquat » dans des situations sociales, et, le système limbique ; centre émotionnel du cerveau.
Il semble y avoir un consensus pour dire que les coupables sont les neurotransmetteurs, ou les connexions. On ne sait pas s'ils sont hyperactifs, hypo-actifs, ou les deux. Cela se traduit par un processus mental différent dans les domaines suivants :
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Fonction exécutive : Il s'agit d'un ensemble de fonctions cognitives qui contrôlent, planifient, organisent et contrôlent les impulsions. Lorsque nous avons tous l'envie de dire ou de faire des choses qui ne sont pas socialement admises, notre fonction exécutive nous empêche d'agir sur ces envies. Dans la fonction exécutive, les déficits sont largement associés au TDA/H, souvent concomitants avec le Syndrome d'Asperger. Mon fils a été diagnostiqué TDA/H, principalement de type inattentif, avant son diagnostic de Syndrome d'Asperger.
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Théorie de l'esprit (ToE): ToE est la capacité à comprendre et à identifier les pensées, les sentiments et les intentions d'autrui. Elle est aussi appelée mentalisation. C'est notre manière de reconnaître que les pensées des autres sont différentes des nôtres. Un déficit sur le spectre autistique est dénommé « aveuglement de l'esprit » et a été décrit par moi-même et d'autres comme le contraire de l'empathie. Les Aspies ne sont pas intrinsèquement programmés pour mentaliser comme le font les neurotypiques.
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Cohérence centrale : C'est la capacité à réunir les différents éléments pour en faire un tout significatif. Notre cohérence centrale nous donne la possibilité de nous concentrer sur les deux, là où un Aspie tend à se concentrer davantage sur les détails plutôt que sur l'ensemble. Les Aspies sont très forts dans les connaissances factuelles des moindres détails, mais peuvent être faibles dans le bon sens et la planification stratégique. Ils reçoivent beaucoup trop d'informations et sont embourbés dans les détails, rendant difficile la reconstitution de l'image dans son ensemble.
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Alexithymie : Ce mot signifie littéralement « absence d'expression des émotions. » Il s'agit d'un trait de personnalité où une personne a du mal à identifier ses émotions et à les distinguer des sensations corporelles. Des études ont révélé que près de 50 % de ceux sur le spectre autistique présentent une alexithymie sévère et beaucoup plus à des degrés divers.
Raison pour laquelle c'est perçu comme un manque d'empathie : l'affect
Les pensées des autres ne sont pas toujours tout de suite évidentes à mon fils dans une situation donnée. La gestuelle est une langue étrangère, et il a du mal à interpréter les subtils signaux sociaux des autres, les inflexions vocales, les expressions faciales et autres choses de cette nature. Il assimile beaucoup trop d'informations, mettant parfois l'accent sur des détails peu pertinents, ne lui permettant pas d'appréhender correctement la situation.
Sa réponse peut paraître assez glaciale. Et s'il n'est pas conscient de ce qu'il doit répondre, il peut ne pas y avoir de réponse du tout. Et ce n'est qu'après coup qu'il est capable d'analyser la situation, quand il est en mesure de relier les points, ce qui n'est pas toujours très opportun.
En plus de cela, il ne montre pas ses émotions d'une manière socialement admise. Lui aussi, a un degré assez élevé d'alexithymie. Il a même beaucoup de mal à comprendre et interpréter ses propres émotions. Il en a même encore plus à comprendre les émotions des autres et d'exprimer à son tour correctement les siennes aux autres. Il a la réputation de dire des choses qui peuvent être interprétées comme socialement inappropriées, de ne pas filtrer ses pensées pour protéger les sentiments des autres.
Rien de ceci ne dépeint un portrait évident de l'empathie.
Ce que cela signifie vraiment
L'idée fausse primordiale est liée au fait que mon fils n'exprime pas ses sentiments de manière adéquate, il ne vit pas ses propres sentiments ou émotions ni ceux des autres. Ça n'est pas si éloigné que ça de la vérité. Beaucoup d'Aspies ressentent leurs émotions et celles des autres de manière beaucoup plus intense que les neurotypiques.
Lorsque j'ai demandé à mon fils de se mettre lui-même "dans la peau d'un autre", (naturellement, après lui avoir expliqué le sens, plutôt que l'interprétation littérale exacte), il a dit qu'il le pouvait, mais qu'il n'aimait pas ça. Puisque cette réponse me semblait plutôt dure en surface, j'ai vraiment eu envie d'en savoir davantage. Après lui avoir demandé pourquoi, il a répondu que ça faisait mal, qu'il pouvait très bien éprouver la douleur de quelqu'un d'autre, et que ça peut être très éprouvant.
La capacité à ressentir ce que vit une autre personne est dénommée empathie affective ou parfois empathie émotionnelle. La littérature a montré que les Aspies faisaient preuve, en fait, d'empathie affective avec tact. C'est exactement le contraire d'un sociopathe.
La cécité de l'esprit se réfère à des déficits de l'empathie cognitive. La possibilité de déduire intuitivement les états mentaux des autres n'est pas inhérente aux Aspies, cependant, ils peuvent être interprétés à un niveau conscient. Des essais cliniques ont montré que lorsqu'on demandait explicitement aux Aspies de s’identifier aux autres, ils étaient en mesure de le faire grâce à l'empathie cognitive et affective.
Ceci est aussi l'exact opposé d'un sociopathe. Un sociopathe a une grande capacité d'empathie cognitive, ce qui lui permet de manipuler magistralement les autres. Cela tranche nettement avec celle d'un Aspie, lequel peut aussi être aisément victime de manipulation.
On a émis l'hypothèse disant que le déficit en empathie cognitive peut être directement lié au niveau d'alexithymie. Plus grande est la difficulté à identifier ses propres émotions, plus grande est celle à identifier les émotions des autres.
Le problème central sous-jacent à l'autisme, est la pauvreté de la communication sociale. Mon fils est tout à fait capable de « sentir » la douleur d'un autre si elle est lui présentée d'une manière littérale, d'une manière simple et directe. Sur un plan académique, il comprend que les gens ont des sentiments différents des siens. Une explication simple sera souvent utile, et plus important encore, si vous dites ce que vous pensez et pensez ce que vous dites, en termes d'empathie cognitive, il n'y aura aucun problème au début. Il est paradoxal de constater à quel point les Aspies sont littéraux, alors que les neurotypiques prendraient trop à la lettre la perception qu'ils ont d'une absence d'empathie, la comparant à celle d'un sociopathe.
Références:
The Intense World Theory: A Unifying Theory of the Neurobiology of Autism http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3010743/
Dysfunctions in brain networks supporting empathy: an fMRI study in adults with autism spectrum disorders http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3046624/
Empathic brain responses in insula are modulated by levels of alexithymia but not autismhttp://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2859151/
Understanding Autism: Insights from mind and brain http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1693123/pdf/12639326.pdf
Feeling, caring, knowing: different types of empathy deficit in boys with psychopathic tendencies and autism spectrum disorder http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3494975/
THE OVERLAP BETWEEN ALEXITHYMIA AND ASPERGER'S SYNDROME http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2092499/
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