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Je suis autiste et j'ai (beaucoup) trop d'empathie


7 août 2013, 17:04

 

 

 


Je comprends que chaque être humain est différent et aussi que chaque personne autiste est différente. Nous avons certains traits en commun, bien sûr ; ceux vraiment évidents. Mais l'autisme n'est pas la seule chose qui nous façonne et nous définisse.

 

Peut-être qu'il y a ici-bas des personnes autistes qui « manquent d'empathie », ou dont le cerveau n'est absolument pas câblé pour traiter les informations nécessaires pour assimiler ce que qu'un autre ressent.

 

Mais moi, j'ai trop d'empathie. Je suis comme une éponge qui absorbe les émotions des autres, ou plutôt... leur énergie. Je peux ressentir jusqu'à la moelle les vibrations qu'ils dégagent. C'est éprouvant et ça me déconcentre. Ça me fait souffrir, mais ça peut aussi me faire du bien, selon ce que les autres ressentent.

 

Lire les expressions faciales et les interpréter correctement m'a toujours été très difficile. Tout comme comprendre le timbre de la voix et les sarcasmes. Mon esprit logique et analytique ne pourrait jamais vraiment correspondre à ce que la société me renvoie sur ce que disent les gens et les vibrations que je ressens vraiment. Il m'a fallu beaucoup de temps pour comprendre que le « problème » est qu'apparemment, je vois au-delà de toutes apparences, la comédie, le masque (souvent, en ne réalisant même pas leur présence, tels que les sarcasmes et les plaisanteries) et que je ressens ce qui se passe vraiment ici, ce qu'il y a derrière tout ça.

 

Et je ne suis pas en train de dire que je peux lire dans les pensées ni quoi que ce soit du genre. Pas du tout. La plupart du temps, je ne comprends même pas ce que c'est vraiment de laisser tomber quelqu'un. C'est un sentiment difficile à décrire. Parfois, ce n'est tout simplement pas cohérent. Ils font semblant d'être heureux, mais ils ne le sont pas. Et d'une certaine manière, je peux sentir quand quelque chose est faux, même si je ne comprends pas le comment ni le pourquoi.

 

Je suis de ces gens qui pleurent en lisant des livres, en regardant n'importe quoi à la télé, ou juste en écoutant une histoire émouvante. C'est parce que je pense toujours à tout, en me focalisant principalement sur la manière dont les gens ressentent les choses. Une des pires choses qui puisse m'arriver est d'entendre des femmes pleurer leurs enfants morts aux infos du soir. Maintenant, je sais que certaines scènes peuvent être théâtralisées, voire même mise en scène, l'information grand-public n'est jamais objective, mais même rien que l'idée d'une mère perdant son enfant à cause de la violence, ça me fait un coup au cœur. Ce genre de douleur est absolument insupportable.

 

Je ne suis pas sûre que ce soit une notion apprise, ou si c'est héréditaire. Mais me mettre dans la peau d'un autre (puisque c'est une expression amusante) me vient naturellement et je ne peux pas vraiment m'en empêcher. Peut-être que c'est du au fait que la lecture des expressions faciales ainsi que les indices qu'on nous apprend enfant ça ne fonctionne pas pour moi. Alors, j'essaie de trouver d'autres moyens, en l'occurrence ma logique, mes pensées, pour découvrir ce qui se passe dans la tête des autres. Je ne peux pas observer leur esprit de l'intérieur, mais il vient d'eux une énergie déroutante, inquiétante, ou jubilatoire et je n'arrive pas à décrypter les signaux habituels, donc je réfléchis sur une explication. Et ça éveille aussi beaucoup d'émotions en moi. Joie, tristesse, colère... l'ensemble du spectre.

 

C'est bien bel et bon, et ça ferait de moi une personne merveilleuse qui peut montrer de la compassion, de l'amour et toutes ces choses librement.

 

Sauf que je ne peux pas.

 

Je me suis imprégné de tout ça. Je ressens tout ça. Mais je ne peux pas en faire part aux autres. Il y a une énorme barrière là ; un mur invisible.

 

Par exemple, quand j'ai l'impression que quelqu'un est en colère, mais qu'il garde les apparences et tente de sourire tout en prétendant que tout va bien, je SAIS qu'il y a quelque chose là. Je peux le sentir ; et je souffre avec lui. Mais je n'en dis rien. Je ne m'en approche même pas, même si tout ce que je veux faire c'est de le prendre dans mes bras. Oui, j'ai une énorme envie d'embrasser les gens. Très fort. La bonne pression, façon Aspie. Bien que je ne suive pas cette envie, et ce, quelle qu'elle soit.

 

Que dit-on ? Je sais, il y a toutes sortes de phrases-types que nous sommes censés dire, tel que "Oh, je suis sûr que ce sera très bien", ou « J'en suis vraiment désolé, mais essayez de voir le bon côté des choses. » Ce que je veux dire, c'est que ça n'aide pas vraiment. Pas du tout. Vous savez, rationnellement parlant. Et pour moi, ça sonne faux et condescendant. Hypocrite. Peut-être que ça ne va pas bien du tout. Peut-être qu'il n'y a pas de bon côté. Peut-être que les choses n'ont pas de bon côté, ou peut-être que si, tout en me disant que ça ne me rendra pas plus proche.

 

Je veux faire part de ce que je ressens aux autres, que je ressens leur douleur. Mais il semble n'y avoir aucun mot qui puisse le transmettre honnêtement, pour que l'autre personne comprenne, sans qu'elle soit effrayée. Parce que c'est vraiment très intime de faire part de quelque chose comme cela, beaucoup plus qu'une simple tape sur l'épaule et un « Ça ira ! » évasif. Et les grandes embrassades, façon Aspie (vous savez, le truc qui me fait vraiment du bien quand, quelqu'un en qui j'ai vraiment confiance me le fait, serrant fortement le haut du corps, bloquant complètement mes bras) ce n'est pas ce que les gens apprécient particulièrement.

 

Bien ! J'ai aspiré toute leur douleur, leur désarroi et leur colère, et tout cela se retrouve en moi sans pouvoir en sortir. Je veux être utile. Je veux les réparer. Je veux que leurs souffrances s'éloignent pour que je ne les ressente plus. Mais je ne peux pas ; je ne sais pas comment. Et pendant tout ce temps, la personne pensera que je suis indifférente et insensible, parce que je ne dis ce qu'il faut dire pour soutenir un ami. Et intérieurement, je me meurs parce que je ne sers à rien.

 

Regarder les gens dans les yeux. Pour moi, ça amplifie absolument les sentiments qui émanent d'eux. Énormément. C'est presque comme si je recevais un choc électrique. On dit que « les yeux sont les fenêtres de l'âme ». Eh bien, oui ! Je peux le ressentir. C'est comme si j'avais un traitement du canal radiculaire. Je me sens mise à nue, exposée, et c'est très, très douloureux. C'est comme si un énorme marteau métallique me frappait.

 

Et nous sommes collés l'un à l'autre comme deux aimants. Il m'est très difficile de détacher mes yeux, quand vraiment c'est ce que je veux vraiment. Et quand j'ai enfin réussi à détourner le regard je ne peux plus me concentrer pendant un certain temps. Je me sens envahi par l'âme de l'autre personne. Et en plus, elle ne le remarquera même pas.

 

Donc, quand quelqu'un souffre, et qu'il prétend que tout va bien, mais que je sens que ça ne va pas, et qu'ensuite il regarde dans mes yeux, je ressens que mon corps tout entier est électrifié. Je deviens souvent silencieuse ou j'active mon mécanisme de défense en mode bavardage inutile. Puis, j'y mets tout ce à quoi je pense. Qu'ils se sentent tristes est déjà suffisamment déplorables, mais qu'en plus ils se cachent et font semblant, cela est encore pire. Ajoutons à tout ça la prise de conscience que quoi que je fasse pour arranger les choses, je ne peux pas être utile et que ça aggravera probablement leur état en n'agissant pas comme l'aurait fait un neuro-typique.

 

Les gens qui me connaissent bien me décrivent souvent comme un casse-tête émotionnel. Je vais pleurer pour la plus petite chose dans un film ou un livre, mais quand les choses négatives arrivent, et que les gens autour de moi sont vraiment contrariés, je me renferme. Je suis la reine des glaces. Tout du moins, extérieurement. Je me consume de l'intérieur.

 

J'évite ensuite souvent tout contact visuel, ou essayer de changer de sujet alors que mon esprit est occupé, tout en essayant de trouver un moyen de mettre de l'ordre au chaos émotionnel.

 

Je ne sais pas si c'est comme ça pour d'autres personnes autistes. Je peux être prise pour quelqu'un qui n'a aucune empathie, parce que je ne montre pas de compassion comme les gens s'y attendent. Mais j'en déborde. Je ressens tout, même si je ne comprends pas ce que je devrais ressentir. Mais c'est là, résonnant en moi, se précipitant dans mes poumons, mes veines et jusqu'à mon cœur. Et que je me sente très proche des autres, mais en même temps mon incapacité à leur faire part de cette tempête qu'ils causent en moi, mon échec à bâtir un échange réciproque, fait que je me sens malheureusement loin de tout ça. On ferme. Accès refusé.

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