Serpent à lunette                                         Par Gérald

 

                                                                                                                                     

                                                                                                   « Personnellement, j’en n’ai vraiment rien à foutre de                                                                                                         tout ça, parce que je vais te dire, je n’ai rien à                                                                                                                   apprendre de toi que je n’apprendrai pas dans                                                                                                                 n’importe quel bouquin. À moins que tu veuilles me                                                                                                         parler de toi. De qui tu es. Là ça m’intéresse. Là je                                                                                                             suis à toi. Mais c’est pas ce que tu veux faire, hein                                                                                                           vieux ? Tu as trop peur de ce que tu pourrais dire.»

                                                                                                       Will Hunting

                                                                                                                                          

 

 

 

Mercredi 9 juin

 

Il est écrit dans différentes études qu’il existerait (toujours au conditionnel) environ 25% d’autistes sans déficience intellectuelle, 25% dans lesquels nous devrions bien entendu inclure un certain pourcentage d’autistes avec sureficience intellectuelle, ce qui en langage honnête, c'est-à-dire compréhensible par la plupart des gens, se traduirait par : plus intelligent que. Si tel était effectivement le cas, une des premières questions qui pourrait alors se poser serait certainement : « oui, ok, pas de problème, mais plus intelligent par rapport à qui ? ». Ce qui pourrait ensuite induire une seconde question assez drôle, ou plutôt gênante (je ne sais pas vous me direz) pour beaucoup plus de monde, ce que je comprendrais tout à fait. Après tout, personne n’aime se faire remettre à sa place par l’handicapé de service alors qu’il tente une approche sur la plus belle fille de la machine à café, ou disons plutôt du lycée, car il est rare qu’un autiste ait un emploi et encore plus qu’il traine près de la machine à café. Autrement dit, est-ce qu’un autiste plus intelligent l’est uniquement par rapport aux autres autistes (donc pas trop non plus, faut pas déconner) ou l’est-il aussi par rapport aux neurotypiques ? ».

(Je pouffe…) Mais trêve de galéjades conditionnelles Madame la Juge (oui je préfère être jugé par une dame, petite quarantaine bien tenue, des lunettes, un chignon, un tailleur, sévère et dominatrice). Nous jouons ici (car nous ne faisons que jouer) avec deux concepts comptant parmi les moins connus de l’esprit humain. Ainsi, tout comme l’autisme, l’intelligence nous sera particulièrement difficile à définir en quelques lignes. Notre fameuse communauté scientifique éprouvant elle-même toutes les peines du monde à proposer un consensus (ce que n’importe qui d’un tant soit peu intelligent trouvera plutôt logique une fois qu’il se sera confronté à ladite communauté vu que comme tout groupe social elle est essentiellement peuplée de gens pas vraiment intelligents du tout)( eh j’ai pas dit « con » hein !) qui permettrait de définir ce mot, ce n’est certes pas nous qui allons y parvenir. En conséquence de quoi je pense qu’il serait déplacé d’attendre de notre part un quelconque sérieux. Tout juste nous abaisserons nous à dire que, tout comme l’autisme, l’intelligence revêtirait un aspect quantitatif. Ainsi, il existerait un continuum de l’intelligence, un continuum qui serait constitué par des personnes moins intelligentes que d’autres et des personnes plus intelligentes que d’autres.
C’est un fait dont malgré les préjugés tout le monde conviendra aisément, ne serait-ce qu’en faisant l’effort de discuter avec son voisin. Or, et contrairement à l’autisme (tout le monde s’en branle que tu sois moins ou plus autiste que ton voisin), tout de suite ça dérange un peu plus de monde d’être moins ou plus intelligent que ce fameux voisin dont le rôle dans la vie, sa place, sa définition sociale, du moins d’après tout ce que j’ai eu la chance (ou pas) d’écouter, soit deux mille cinq cent quarante-deux témoignages, est je le rappelle, de juste nous faire chier un max. Il est aussi assez drôle, ou causasse (je rêvais d’employer le mot « causasse » au moins une fois dans ma vie) de constater que dans le bestiaire populaire cela ne pose de problèmes à personne qu’il existe des personnes avec déficience intellectuelle (oh les pauvres ! Non l’hypoténuse n’est pas un animal marin) mais que par contre, la même notion à son opposée dérange beaucoup plus de monde, ce que je comprends également tout à fait.
Personne n’a envie de se faire traiter de « plus con que… » son voisin, sa bonne femme, son gamin, ou pire encore : sa belle mère !

La question que je me pose en m’interrogeant sur tout ceci est : pourquoi n’acceptons-nous pas, ou difficilement, d’être moins intelligents que quelqu’un d’autre ? Je ne sais pas. Peut-être parce que l’intelligence est peuplée de mythes, et que parmi ces mythes, l’intelligence porterait en elle une notion qualitative, ce qui reviendrait à dire que l’intelligence serait directement liée à une quelconque valeur d’humanité, (je connais un paquet de héros de la grande Histoire très intelligents et qui n’auront finalement été que d’immondes enfoirés)(de nos jours leur repère semble davantage être le téléviseur), que plus tu serais intelligent plus tu serais « moral », plus tu serais bon, plus tu serais un homme bien, plus tu serais ou pourrais devenir un super-héros, en quelques sortes... Je ne sais pas. Mais les faits sont là.

Et pour cette raison, à cause de cette fausse croyance, lorsque nous souhaitons parler d’intelligence, nous tombons toujours sur les mêmes écueils dont la peur de se faire cataloguer d’eugéniste (je ne sais pas qui était Eugène car j’ai beau être intelligent je manque cruellement de culture mais il nous a bien pourri la communication) (après vérification wikipédienne il semblerait que le terme « eugénisme » ne vienne pas du tout de notre pote Gégène) (je sais pas si c’est de l’autisme, de l’intelligence, ou une quelconque autre pathologie mais on n’est pas passé loin du Grand Ridicule de la Mort qui Tue Pour de Vrai) (Ca t’apprendra à faire ton malin avec des vannes pourries !) et la mesure du fameux Quotient Intellectuel.

Le rapport des gens au quotient intellectuel, qui se mesure par de très simples tests élaborés depuis plusieurs décennies et qui, s’ils ne sont certes pas parfaits ont au moins le mérite d’exister, est lui aussi très drôle, particulièrement chez les gens disposant d’une certaine aisance intellectuelle, une certaine aisance intellectuelle qui leur permettra de détruire des concepts non pas qui les dépassent mais que bien au contraire ils maîtrisent parfaitement, autrement dit, lorsque nous évoquons, prononçons les mots « quotient intellectuel » nous faisons directement face à toute une armée de gens prêts à en découdre à la vie à la mort quant à la légitimité de la mesure de l’intelligence (nous flirtons là avec le même ridicule), voire pour les plus extrémistes, l’existence même de l’intelligence, et ce pour tout un tas de raisons différentes que nous ne détaillerons pas ici car nous n’en n’avons ni l’espace ni le temps (les coordonnées de différents psy vous seront fournis à la fin de l’ouvrage). Or que faut-il, à votre avis, pour être capable de remettre en question une norme de mesure internationale ? Hein ? Le voisin en serait-il capable ?

Mais peu importe Madame la Juge, peu importe, je digresse et la culpabilité m’en revient. Tout ceci pour vous dire que le rapport à l’intelligence est chez l’espèce humaine très complexe et peut chez certains spécimens provoquer d’étranges réactions (qui vont généralement de la claque dans ta gueule, aux insultes, en passant par le terrible et tellement redouté argumentaire de quatre heures du samedi soir). Par ailleurs, soyez certaine persuadée et absolument certaine, Madame la Juge, que nous ne voulons absolument rien avoir à faire avec un quelconque scientifique et que tout comme l’autisme, (Au pays des struthionidés la taupe est reine) il nous sera impossible de définir plus avant l’intelligence.

Et s’il n’en reste pas moins que des phénomènes comme la perception, la collecte, le stockage d’informations, le traitement de l’information, l’analyse, le raisonnement, la capacité de mettre en lien se fait de façon différente et plus rapide chez certaines personnes que chez d’autres, sans parler des traitements sensitifs et émotionnels, ni des pathologies que peuvent engendrer de tels processus dans l’esprit et le corps humain, nous préférons aujourd’hui en rester là. J’espère, que dans votre grande clémence, vous accepterez que nous devions toutefois en passer par là pour vous permettre, sauf votre respect, de comprendre de quelle façon nos clients, soit tous les autistes non déficients intellectuels, ont pu emberlificoter tout le monde pendant des dizaines d’années, eux les premiers.
 

En ce qui me concerne, au cours de ma prime jeunesse, deux personnes au moins vinrent attester de mon intelligence. La première, je ne l’ai appris que récemment, fut ma grand-mère maternelle. Ne l’ayant pas vu depuis une vingtaine d’années, ma sœur m’avoua il y a quelques mois qu’elle disait que j’étais un petit garçon très intelligent. Aussitôt…

Je me souviens de ces moments. Est-ce parce qu’ils font partie des rares moments où l’on me portait une réelle attention ? Je ne sais pas. Je devais avoir quelque chose comme quatre ou cinq ans, peut-être plus, un ou deux ans mais j’en doute. Je ne sais plus. L’enfance est un de ces pièges assassins dont il faut à tout prix se méfier, voire se défaire. En revanche, ce dont je me souviens parfaitement, c’est ce petit bol de fromage blanc au sucre que je prenais le matin

au petit déjeuner assis sur la table de la cuisine de sa cité HLM de Rosny sous Bois. Ce que j’aime encore le goût du fromage blanc au sucre, ce gout du début des années quatre-vingts, lorsque nous étions encore tous plein d’espoir… Mon petit matelas posé à même le sol m’attendait dans la chambre du fond, porte de gauche au bout du couloir. Nous allions acheter l’Officiel des Pestacles. Nous épluchions les petites annonces, entourions ce qui était susceptible de nous intéresser, et c’était parti pour la grande aventure, RER, métro, Paris ! Oui, enfant, je pouvais faire ce genre de chose : Aller à Paris…

 

- Gérald est beaucoup plus intelligent que la moyenne

-  Ah ?

- Oui. Nous allons le faire redoubler.

- Ok.

 

Tel fut le discours que tint à ma mère mon professeur de CM2. Près de trente ans plus tard, je n’ai toujours pas compris. Pourquoi faire redoubler un enfant plus intelligent que la moyenne ? (Sont vraiment tordus les neurotypiques hein !) Ou bien serait-ce plutôt que l’intelligence n’est en rien liée au reste, liée à la réussite, quoi que puisse se cacher derrière ce mot, liée à la « valeur » d’un homme, liée aux grandes valeurs morales de l’Humanité. Ce avec quoi j’aurais tendance à être d’accord. Ainsi nait le terme HPI pour haut potentiel intellectuel. Le potentiel. L’intelligence, ça ne sert pas forcément à grand-chose. J’aurais même tendance à dire que par les temps qui courent, ça ne sert plutôt qu’à t’attirer des emmerdes si tu la mélanges pas à deux ou trois autres trucs, comme la communication par exemple, ou la confiance en soi, ce qu’un autiste a rarement la chance de posséder dans son escarcelle.

 

Je parle d’intelligence… Lorsque je parle d’intelligence… Il me faut également prendre en compte le référentiel. Quelle valeur pourrait avoir le fait de se faire traiter d’intelligent par un imbécile ? Ceci m’arrivait régulièrement au lycée, où grâce à cette merveilleuse intelligence, j’ai également redoublé deux fois (oui j’ai eu mon bac, technologique en plus, avec trois ans de retard… Sacrément intelligent ça hein ! ) où la faune locale est plus que prompte à te prendre pour un nigaud, puis qui le jour où tu te décides à bosser un peu, te regarde comme si elle venait de résoudre la quadrature du cercle, ou plus vraisemblablement une équation du second degré.

 

 

-  Oh mais t’es intelligent en fait.

-  Non, c’est juste toi qu’es trop con.

 

Peu importe les croyances, peu importe les jugements, l’intelligence, cette capacité à emmagasiner et traiter plus ou moins (jai pas dit bien !) les informations, est là et cela ne changera pas. Elle représente elle aussi un continuum particulièrement difficile à apprécier et mesurer. Et ce que nous en pensons ne change rien aux faits et aux systèmes que cela induit. Mais quel rapport entre intelligence et autisme ?

 

Contrairement à ce que nous pousse à croire les croyances populaires (souvenez-vous : autisme = débile) les deux fonctionnements sont intimement liés. L’intelligence, cette capacité à recevoir puis traiter des informations à une vitesse supérieure par tous types de canaux est capable, dans une certaine mesure, de venir dissimuler l’autisme. Rappelons que tout but de l’être humain est avant tout de se faire reconnaître et accepter par ses congénères. Même le dernier des ermites perdu au fin fond de sa grotte ne se sert de sa pseudo solitude que comme d’un paravent. Qu’il puisse vivre seul des dizaines d’années, il n’en possède pas moins un rôle, une fonction, une acceptation sociale : c’est un ermite. Les seul cas où nous pourrions parler de solitude sont ces quelques enfants ayant survécu sans aucun contact avec l’être humain, les enfants sauvages, au développement intellectuel brusquement arrêter (forcément, pas simple de discuter avec un arbre ou un ours). Nous avons tous besoin les uns des autres. Et comme tout le monde, qu’il dispose d’une intelligence inférieure, normale ou à haut potentiel, c’est ce que veut un autiste, trouver sa place dans la communauté. Pour les deux premiers ce n’est pas très compliqué. Ils seront autistes. Ils auront leur place. Et même si celle que leur a réservé la communauté est pour le moins et pour l’instant totalement merdique, ils l’auront. Pour les autistes HPI (pour peu qu’ils existent bien entendu), il en va tout autrement. Nous sommes face à un biais de taille. Un peu comme ces foutus bâtards, rejetons, pardon, enfants de l’amour, qui ne seront jamais acceptés ni par la communauté de leur père, ni par la communauté de leur mère.

Leur intelligence leur permettra de tenter d’entrer dans la communauté des neurotypiques et de trouver leur place, lorsque systématiquement leur autisme fera foirer leur insertion pour un retour brutal à la case départ, celui du handicap social, que personne, pas même les autistes (je ne parle mêmes pas des professionnels de l’autisme) ne leur reconnaitra puisqu’ils sont trop intelligents pour être considéré comme tel. L’autiste HPI ne peut pas être autiste puisqu’il est intelligent et il ne peut pas être intelligent puisqu’il est autiste. Il n’est rien. C’est ce qu’on appelle : la double peine.