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Sens interdit                                     Par gérald




                                                            

                                                                                                            « Do or do not, there is no try. »

 

                                                                                           Star wars: Episode 5 - The empire strikes back, Yoda.

 

Lundi 14 Juin

 

 

Oh Madame La Juge à Lunettes, plus je vous regarde et plus je… vibre. Je l’avoue… M’attacher au pilori, me fouett… Hum… Pardon. Peu importe !

Je me demandais cette nuit si vous étiez parvenues à faire le lien ? Le lien oui. Entre les paramètres, les paramètres du paradigme autistique. Oui ? Bien. Dans ce cas vous ne verrez pas d’inconvénient à ce que nous en ajoutions un de plus ?

Nous avons abordé les difficultés de communication verbale puis nous avons ensuite abordé les difficultés émotionnelles soit deux difficultés accompagnées de toute une ribambelle de

leurs petits enfants-difficultés. Nous les avons traités séparément, c'est-à-dire de façon linéaire, comme ce qu’il se passe dans la tête d’un normopensant en somme, une chose après l’autre. Maintenant, prenez deux pas de recul et regardez plus attentivement. Peut-on séparer la moindre émotion d’une quelconque communication ? Peut-on séparer la moindre seconde de communication d’une quelconque émotion ? Cela me parait assez compliqué. Ainsi, quelqu’un pourrait-il imaginer qu’à chaque fois qu’un autiste tente de communiquer il existe une certaine probabilité qu’il soit soumis à une émotion qu’il ne peut identifier et donc qu’il ne peut communiquer.’équation est exactement la même en partant de l’émotion. Je vous laisse la construire. Maintenant que nous avons réussi à l’imaginer, quelqu’un pourrait-il l’accepter comme réalité ? Le fait est qu’émotion et communication ne vont jamais l’une sans l’autre, que cette relation passe inaperçue pour la plupart des neurotypiques mais que cette relation est beaucoup plus conflictuelle chez les autistes. C’est ainsi que se construit l’idée de différence (ou de maladie)(les menus big mac aussi).

Par exemple, dans les enfants-difficultés nous n’avons pas encore trouvé la place, ou le temps, de parler de la communication non-verbale. L’autiste est bien souvent mauvais en communication non-verbale. Ce qui quelque part est également un paradoxe puisque l’autiste est réputé pour s’attacher davantage aux détails de la scène qu’à l’ensemble de la scène. Et c’est un fait établi, nous remarquons à peu près… presque tout. Seulement que veut dire un clignement d’œil ? C’est pour ma part impossible à déchiffrer. Que veulent dire ces mains qui ne cessent de bouger dans tous les sens (oh t’as des vers ou quoi ?) ? Aucune idée ! Et vous n’avez qu’à vous regarder trois minutes dans une glace Madame La Juge, vous avez beau être magnifiquement jolie désirable, lorsque vous souriez, ce sourire peut signifier dix ou vingt choses différentes. Comment puis-je, moi, savoir ce que vous vous voulez dire ? Je n’en sais absolument rien du tout !

Le seul moyen de parvenir à une quelconque compréhension passe dans ces cas-là par l’apprentissage et la réflexion, la mise en rapport de situation déjà vécues pour parvenir au décryptage de celle que nous vivons (généralement le temps qu’on comprenne la meuf est déjà parti depuis trois heures avec le type d’à côté).

Et conséquemment, ou pas, l’autiste est lui-même extrêmement mauvais lorsqu’il est lui-même producteur de communication non-verbale (regard fixe, mains immobiles, visage plat etc), d’où encore l’impression d’homme-vide, de robot et ainsi de suite.

Maintenant, comme si l’affaire n’était pas suffisamment compliquée, nous allons ajouter un troisième paramètre, et celui-ci, croyez-moi, si vous le résolvez, vous prenez direct au moins trois vies d’avance sur n’importe quel chercheur de ce pays.

Le troisième paramètre du paradigme qui emmerde tant les autistes (et risque encore d’occuper la communauté scientifique pendant deux ou trois dizaines d’années) s’appelle la sensorialité.

Tout d’abord, rappelons-le une fois de plus, tout comme la gestion des émotions et les interférences de communication, le niveau de perception sensorielle ne sera pas le même pour

chaque niveau du spectre de l’autisme. Simplement, par rapport à l’utilisation qu’en fait habituellement la norme, ce niveau de perception nous pose lui aussi quelques difficultés.

 

En ce qui me concerne, je ne dirais pas que je dispose d’un niveau particulièrement élevé par rapport à certains témoignages que j’ai pu lire. Hélas, suffisamment pour agrémenter le monde parallèle dans lequel je vis de jolies formes, de jolies couleurs et de magnifiques arcs-en-ciel d’incompréhension.

Commençons par la vue. Comme je vous le disais l’œil de l’autiste est davantage attiré par le détail d’une scène que par le général. Comment vous expliquer ceci ?

Au moment où je vous parle, mon téléviseur est allumé sur la chaine Mezzo. Un quatuor joue avec un piano et nous avons une vue plongeante sur le clavier du piano. Croyez-vous que j’écoute la musique ? Non. Mon cerveau va automatiquement se focaliser sur les touches noires, les séparer, les regrouper, et tenter de les…compter. Et le fait de savoir par cœur le nombre exact de ces touches (ce que je ne sais pas car j’ai autre chose à foutre et déjà assez d’emmerdes comme ça) n’y changerait rien. Je les compterais de toute façon, ne serait-ce que pour vérifier que le nombre est correct et que c’est un vrai piano ! (Oui je suis complètement cinglé et alors ?) C’est automatique. Ils appellent ceci un trouble obsessionnel. Peut-être oui, mais si ce trouble existe effectivement, il est directement lié au sens de la vue et l’incapacité à discriminer pour capter le sens général.

Lorsque les gens regardent une scène, ils partent du général puis s’ils ont le temps vont vers les détails, ce qui leur permet d’apporter des précisions, de peaufiner la signification de ce qu’ils regardent. Nous avons nous tendance à procéder de façon inverse. Notre regard est automatiquement happé par les détails puis ensuite par l’ensemble, et bien entendu nous devons parvenir à mettre les deux en concordance avant d’en comprendre la signification. Ce qui inévitablement finit par poser un problème car c’est toujours dans ce sens que véhicule pour nous l’information.Les gens ont tendance à penser que c’est un super pouvoir de « tout » (bien entendu, cela ne veut pas dire que nous captons tous les détails, je vois déjà les pièges vicieux de NT arriver, simplement c’est ainsi que nous fonctionnons) voir mais en réalité il n’en est rien. Pendant qu’un neurotypique capte directement le sens général d’une scène, d’un environnement, d’une situation, nous en sommes encore à tenter de faire concorder tous les détails que nous avons perçus afin d’en extirper le sens général, et bien entendu la plupart du temps parvenir au même résultat.Hélas, même si le déplacement, c’est à dire le traitement et l’interprétation de la scène, peut être très rapide, re-inévitablement, nous nous trouvons toujours en décalage, temporel et spatial, par rapport à la situation sociale en cours. Aussi rapide que nous soyons, une demi seconde suffit pour être en retard dans la conversation et devenir ainsi le gars trop bizarre qu’à rien compris Et plus le délai s’allonge plus…

Le moindre mouvement dans le champ visuel sera (la plupart du temps) immédiatement repéré et provoquera un court-circuit dans le déroulement de la pensée. Le souci ne vient pas ici du fait de le capter, le souci vient du fait de focaliser dessus. Un peu comme une mouche qui vous tournerait autour du visage en pleine discussion (c’est pénible hein !) excepté que pour un autiste la mouche peut être un avion dans le ciel volant à dix milles pieds (je vous assure que c’est super compliqué de pécho pendant qu’un avion vous tourne autour).

L’intensité de la luminosité peut rapidement devenir un véritable inconvénient. Je vais vous confier un secret. Si je porte en permanence une casquette ce n’est pas par nostalgie d’une adolescence trop vite passée (encore que…), mais pour deux raisons. La première, elle me permet de réduire la luminosité à n’importe quel moment lorsque je me trouve à l’extérieur de chez moi, la seconde parce qu’il m’est insupportable au bout d’un moment de pratique de casser un rituel (et sans ma casquette, aussi vieille et pourrie soit-elle, c’est assez simple, je me sens à poils)(personne n’a envie de me voir à poils n’est-ce pas ? Donc je garde ma casquette ! Cqfd !)..

 

 - Mais qu’est-ce que tu fais avec ta casquette ridicule ? demande la copine de ma fille.

 - Hein ? Quoi ?

 - On dirait que tu pars en vacances. - Hein ? Quoi ?

 

Il est incroyable de voir combien une simple casquette peut perturber le sens social des gens. La seconde chose que je voulais vous confier est que si vous me voyez avec des lunettes de soleil alors qu’il n’y a pas eu la moindre trace de soleil depuis quinze jours ce n’est pas parce que j’ai scotché sur Philipe Manœuvre ou Gilbert Montagné mais uniquement parce que le ciel trop blanc, suivant les jours et ma grande forme physique au plus bas depuis près de vingt ans, me provoque des courbatures des muscles oculaires.

 

 - Pourquoi tu t’habilles toujours en noir ?

 - (Pour faire peur aux petits enfants avant de leur arracher les bras avec mes dents !)

Est sans doute une des questions que j’ai le plus entendu au cours de ma vie. La réponse quant à elle demeure encore à ce jour mystérieuse. Parce que je n’aime pas changer mes habitudes. Parce qu’il m’est difficile de casser une image, une projection, une croyance que je me suis faite. Mais plus que tout parce que je suis incapable d’agencer les couleurs.

 

 - Tu vas pas me dire que t’es sorti comme ça ? me demande ma compagne.

 - Beh si… Pourquoi ?

 -  Et personne s’est foutu de ta gueule ?

 -  Hum… Maintenant que tu le dis. Y a ce type qui m’a croisé en souriant… Me demandais ce qu’il voulait.

 -  Non mais t’es sérieux toi…

 

Périodiquement, je me retrouve à faire ce que j’appelle des « crises d’autonomie »… Qui si elles se terminent pour moi la plupart du temps de façon honteuse, ont souvent le mérite d’apporter du sourire et du bonheur dans le cœur des gens qui y assistent. Ce jour-là je portais donc ma casquette noire, une veste en laine de type péruvienne (ouais le truc avec des cordons et des pompons) blanche bariolée de bleu (ou l’inverse), un pantalon vert kaki et des runnings Adidas oranges (quoi ? Je ne vois toujours pas ou est le problème !).

 

En revanche sont particulièrement apaisants les mouvements perpétuels (machine à laver, pendule, rond dans l’eau, etc) les formes arrondies, ainsi que certaines couleurs (j’ai beaucoup de mal à supporter le vert et le marron et leur préfère le bleu et le violet-rose-orangé du coucher de soleil) et bien entendu le spectacle au-delà des fenêtres (il y a toujours un détail que nous n’avons pas vu…). Voir les yeux fermés (des couleurs, des formes géométriques, des visages, des paysages, ou le vide calme et reposant de l’espace) est également un moment très apaisant.

 

Au niveau de l’odorat, il est assez fréquent de croiser des personnes ayant un tel développement qu’une simple odeur puisse leur provoquer des nausées ou une migraine. Ce n’est pas mon cas. Je ne possède pas un odorat particulièrement développé et n’identifie que très peu d’odeurs. Malgré tout, lorsqu’elles deviennent trop fortes certaines odeurs corporelles provoquent chez moi un vif mouvement de répulsion bien difficile à contenir. Je m’amuse dans ces cas à arrêter de respirer.

Sincèrement Madame La juge, vous qui êtes une femme, peut-être pourriez-vous m’expliquer, car je n’ai jamais compris… Ne se rendent-elles pas compte qu’elles se mettent du parfum pour masquer leur propre odeur (ce qui déjà…) et que par là-même elles puent deux fois plus ? Sincèrement ? Prendre sa douche au Tahiti saveur vanille, se rajouter par-dessus un petit coup de fragrance Narta, le tout enrobé d’un petit jet de Kenzo avant d’entrer dans un ascenseur (ou dans n’importe quelle pièce plus petite qu’un stade de foot)… N’est-ce pas criminel Madame La Juge ? N’est-ce pas criminel ?

Je me souviens qu’enfant, en primaire et au collège, je ne supportais pas mon voisin si celui-ci avait le malheur de puer de la gueule. Je ne pouvais pas. C’était un calvaire de l’enfer de se pencher au-dessus du même cahier d’exercices. Bien entendu, j’en ai tiré la phobie de moi-même puer de la gueule… Après j’ai beaucoup bu et beaucoup fumé (et donc puer de la gueule oui) et donc probablement beaucoup perdu en odorat.

Dans tous ces cas, je respire (oui parce qu’en fait, même si je suis autiste et super intelligent, arrêter de respirer, je n’y arrive pas très longtemps) avec la bouche et ferme mon nez.

Le goût étant intimement relié à l’odorat, il est sans doute le sens qui me pose le moins de problème. C’est bien connu et ma femme vous le confirmera : je n’ai aucun goût !

 

 - Oh ! Ton père est bouché ?

 - Non, meunier. Pourquoi ?

 

L’ouïe est en revanche un problème un peu plus sérieux. Il m’apparaît aberrant de ne pas avoir identifié tout ceci plus tôt. Rien que cette connaissance aurait pu changer toute ma vie, en quelque chose de beaucoup plus… Doux.

Bien entendu, je vous ai déjà parlé du sens de l’écoute, je ne vais pas revenir dessus. Lors de ses crises, ma mère ne grondait pas, elle ne criait pas, non, elle hurlait. Nous habitions au quatrième étage, et parfois, où que l’on se trouve dans la cage d’escalier entre le rez-de-chaussée et le septième, je l’entendais passer son savon sur ma sœur. J’ai mis près de quinze ans avant de réussir à me débarrasser de cet hurlement. Je l’entendais encore parfois raisonner dans ma tête en tentant de m’endormir la trentaine passée. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal avec les voix puissantes qui s’excitent un peu trop. Déjà, les gens qui ne font que causer m’épuisent extrêmement vite, mais lorsqu’ils se mettent à beugler, j’ai juste envie d’appeler l’équarisseur ! (grande gueule passe ton chemin ! C’est pas que je t’aime pas c’est juste que nous sommes auditivement incompatibles)

Lorsque mes amis venaient dormir à la maison pour une pyjama party endiablée, ils aimaient s’endormir en écoutant de la musique, ce qui était un pur calvaire pour moi qui étais dans l’obligation d’éteindre toute source sonore si je voulais avoir la moindre chance de trouver le sommeil. Et de se faire traiter de relou, de chieur, de capricieux et j’en passe. Combien de fois ai-je maudit la vie dans ces cas-là… La moindre musique de basse du voisinage s’accaparant tout espoir de dormir. Je n’ai jamais compris pourquoi tout le monde y parvenait et moi pas.

Pendant des années la télé fut de notre compagnie dans la chambre conjugale (oui je sais, c’est le mal. Il parait que la télé est un tue-l’amour, un peu comme un roman de guillaume musso. En réalité non, ce ne sont pas eux qui tuent l’amour. Chacun y arrive très bien tout seul). Cet objet fut longtemps pour moi un véritable cauchemar lorsque je souhaitais dormir avant ma compagne. Le mouvement des lumières derrière mes yeux fermés ajoutés aux sons… Je ne trouve pas d’autres mots que « torture » et « enfer ». Et me donne de véritables envies de meurtre. Mais je fermais ma gueule… Je dois construire cette famille ! L’achat de boules quiés et d’un masque de sommeil (pourquoi je dis ça moi… la honte absolue…) me permirent de tenir un peu plus longtemps, jusqu’à persuader ma compagne que la télé dans la chambre, c’était le mal, un tue-l’amour, comme un livre de guillaume musso (moi les idées, même les connes, je les pioche partout où je peux pour survivre, oui !). Cela me prit des années et des

crises intérieures terribles dont elle n’eut jamais le moindre soupçon, tous comme mes potes, tous comme les voisins (tous comme tous les gens que j’ai réussi à ne pas tuer).

Les bruits vifs et soudain me transpercent le crâne aussi sûrement que le ferait un tournevis enfoncé dans l’oreille droite pour ressortir par l’oreille gauche. Ce genre de bruit sera également une énorme source de distraction dans toute situation sociale.

On parle souvent d’écouter deux conversations en même temps (déjà une tu meurs d’ennui mais alors deux on flirte avec le masochisme là). Je dirais plutôt que l’une vient parasiter l’autre et qu’il m’ait impossible de discriminer. Je suis obligé (à mon plus grand regret) d’écouter les deux. Au final, je finis par perdre le fil des deux discussions, tout en essayant de donner le change à mon interlocuteur qui finit toujours par s’en apercevoir et se barrer discrètement. Calvaire social quand tu nous tiens.

 

Plus je vieillis moins je supporte de bruits. En réalité, plus je vieillis moins je supporte de choses quel que soit le vecteur. J’ai bien peur Madame de finir dans la peau d’un vieux con.

En revanche, les clapotis de la pluie sont une pure merveille. Je passerai bien le reste de ma vie rien qu’à écouter de l’eau couler. Je l’aurais bien mérité non ?

 

Le sens du touché, ou plus généralement la kinesthésie, est également pour moi un véritable calvaire. Certaines textures me sont impossibles à toucher. Rien que leur vision me procure un sentiment désagréable, comme la feutrine, la laine de verre, les matières synthétiques même si je suis parvenu à m’y habituer au fil du temps. A l’inverse je pourrais passer mes doigts pendant une demi-éternité dans la fourrure d’un chat angora. Il existe beaucoup de textures que je n’affectionne pas particulièrement mais que je fais semblant d’ignorer comme le sable mouillé qui te colle aux pieds à la plage. Je me couperai les jambes si j’étais certains qu’elles repoussent, plutôt que nettoyer mes pieds en sortant de l’océan. Ce n’est pas juste chiant à enlever, tout le monde trouve ça chiant, moi ça m’est vraiment pénible, et parfois, lorsque je n’ai pas suffisamment d’énergie, alors que je meurs d’envie de plonger dans cette eau si désirable, je ne vais pas me baigner juste pour ne pas avoir à le supporter.

La glue 3 collée au bout des doigts me… Ou la couverture d’huile qui te reste sur les mains…. D’une façon générale, personne n’aime ça, n’est-ce pas ? (je ne sais pas) C’est précisément là que l’on se dit que nous sommes comme tout le monde et que nous n’en parlons pas. Et pourtant, aujourd’hui je ne suis plus du tout persuadé que cela soit pareil chez tout le monde. Je ne suis pas très atteints, je parviens à supporter toutes ces choses lorsqu’elles arrivent, juste ça m’agace. Ca m’agace très fort ! Ca m’agace très fort ! Ca m’agace très fort ! Quand je peux ou que je ne dispose pas de suffisamment d’énergie pour supporter, comme pour le sable, j’évite ce genre de situation. Mais plus que tout, vous ne me ferez approcher à moins de vingt centimètres d’une pêche !

 

La kinesthésie est elle aussi intimement liée avec la communication ainsi que les émotions. Je ne comprends rien à ce langage. Une seule question se pose à moi lorsque quelqu’un me touche : « tu veux faire l’amour avec moi ou quoi ? » Je pars systématiquement du principe que non, tu ne veux pas faire l’amour avec moi, ce qui je pense fut longtemps une erreur de ma part. Je n’aime pas particulièrement ni ne ressens le besoin de toucher les gens. Cela provoque en moi des émotions et des réactions physiologiques que je ne comprends pas. Parfois comme de l’électricité sur la peau, parfois comme un signal lumineux et strident dans le cerveau : WARNING WARNING ! Un intrus a pénétré dans la zone d’exclusion prioritaire ! Je répète ! Un intrus a pénétré dans la zone d’exclusion prioritaire. Veuillez procéder à l’élimination puis à la décontamination. Alors je sursaute et je dois contrôler ce sursaut, ou bien j’ai une érection impromptue et je dois contrôler cette érection impromptue. Ou bien ! Ou bien ! Ou bien ! J’ai horreur que les gens envahissent mon espace. J’ai aussitôt un sentiment désagréable qui m’envahit et cherche de toutes urgences une zone de replis, que ce soit la fuite, ou écourter la situation, faut que je dégage de là au plus vite.

Je suis néanmoins parvenu ces derniers temps à comprendre et accepter le fait que l’intrus n’était pas systématiquement un ennemi (bon je reste sur mes gardes quand même hein !). Ce qui me permet de réduire la jauge d’angoisse et d’un peu plus profiter des situations.

Je suis probablement plus résistant que certains à la douleur mais aussi beaucoup moins que d’autres s’y étant entraîné. Je suis extrêmement sensible à la température. J’ai horreur du trop froid et horreur du trop chaud. Je voudrais vivre dans un pays dont l’amplitude thermique irait de vingt-deux degrés à vingt-quatre.

Pour résumé, je suis un mec très pénible à vivre ! Un chieur ! Et oui… Mais pourquoi ? Parce que chacune de ces perceptions par les sens va provoquer chez moi une émotion plus ou moins désagréable, une émotion que je n’identifierai pas forcément, et une émotion qui sera rarement la même, c'est-à-dire que selon la situation, la même perception pourrait très bien me faire rire, ou bien totalement me faire buguer en mode tête de con. L’exemple du sable sur la plage en est un parfait exemple. Je l’ai vécu tellement de fois celui-là… Et ceci, est parfaitement incompréhensible pour les spectateurs, et donc ingérable en situation sociale, et donc source d’anxiété.

Vous comprenez Madame La Juge combien chacun des trois paramètres est intimement relié aux autres ?

Maintenant, imaginez que vous soyez enfant, que vous disposiez de plusieurs des spécificités que je viens d’énumérer mais à un niveau supérieur de sensibilité alors qu’à l’inverse votre niveau de communication lui soit réduit à son minimum, à savoir peu ou pas du tout de paroles et l’impossibilité d’expliquer ce qu’il se passe. Est-ce que cela ne vous donnerait pas envie de vous fracasser la tête contre un mur, que ce soit pour vous exprimer ou surtout faire cesser le stimuli qui vous agresse ?

Si tout ceci provoque chez moi de telles réactions, moi qui suis dans la volonté totale de contrôle et de compréhension des phénomènes, je me demande ce que cela peut provoquer chez un autiste averbal ? Ce que cela peut provoquer chez un autiste qui aurait tous ces sens

davantage exacerbés et l’impossibilité totale de communiquer ? Est-ce que cela ne pourrait pas expliquer certaines crises de fureur dévastatrice par exemple… Je me demande. Pas vous ?

La tendance du marché voudrait que ce soit chez tout le monde pareil. Effectivement… Nous avons, a priori, sauf accident, tous cinq sens (hourra). Maintenant, le petit autiste qui s’exprimera sur ce sujet dans sa tendre enfance apprendra très vite qu’il ne faut surtout pas s’exprimer sur ce sujet. Lorsque moi je disais que je ne voulais pas manger de pêche pour le dessert en vacances d’été dans le sud de la France, que je cachais de toute mes forces mon dégoût, mon écœurement, à la vision de ces gens, mes propres êtres aimés, dégoulinant de jus et de….C’est limite si ma famille n’appelait pas la garde nationale et la sécurité civile pour m’accompagner au centre de réhabilitation psychologique du coin. Il en est à peu près de même pour tout ce que j’ai décrit et bien d’autre chose encore Madame Le Juge. Nous passons notre vie à nous taire, à redouter certaine situation sensorielle, à les bloquer ou faire semblant de les bloquer. Et à nous cacher.

 

 - Maman pour quoi tous les mercredi sont jaune ?

 - Tais-toi tu vas nous faire avoir des problèmes !

 

Je vais vous épargner de ma fascination pour l’eau, fascination oui, le mot n’est pas trop fort. De mon sens de l’orientation spatiale qui contrairement à bon nombre d’autiste semble plutôt très bon, (je ne perds jamais ma voiture, contrairement à mes lunettes…) de ma façon de cartographier chaque endroit où je vais (c’est comme si j’avais toutes les routes que j’ai un jour empruntées imprimées dans le cerveau) et de beaucoup d’autres choses plus ou moins bizarres.

 

Je ne parlerai pas non plus de la sensorialité encore plus difficilement explicable, comme la perception d’énergie que nulle n’a encore identifiée et mesurée, la perception des caractères des gens, de leur personnalité, de leurs énergies, de leur gentillesse ou de leur méchanceté, des arbres, de la souffrance animale, de la synesthésie et de tout un tas de trucs bizarres (faut en garder pour plus tard), que je n’ai pas forcément mais qui existent cependant.

 

Ainsi Madame la Juge, nous pouvons ici modifier le triptyque dénonciateur. Notez car nous y reviendrons probablement un jour, dans dix ou vingt ans. L’autisme ne devrait pas s’identifier par les problèmes d’interactions sociales, les stéréotypies ou les centres d’intérêts restreints mais par l’interaction conflictuelle et interdépendante de ces trois paramètres communication/émotion/sensorialité.

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