Autisme Regards Croisés
Résumé "Autisme et problèmes d'alimentation"
Ecrit par Thomas Fondelli
Par Weirda
MANGER, UN PHÉNOMENE COMPLEXE :
Manger est un phénomène complexe impliquant des aspects à la fois sensoriels (goût, texture, mais interviennent aussi les aspects sensoriels de l'environnement : environnement bruyant, calme...), moteurs (phénomènes de mastication et de déglutition), cognitifs (prédire le goût des aliments donc angoisses qui peuvent en découler) et sociaux (règles, culture).
Notre façon de manger est à la fois « influencée par des facteurs personnels, situationnels, relationnels et culturels »
PROBLÈMES D'ALIMENTATION
3 dimensions pour juger un comportement alimentaire : quantité, diversité et comportement.
Le comportement alimentaire peut varier selon les situations → nécessité de l'évaluer sur plusieurs jours et dans des contextes variés.
Distinguer le « normal » du « problématique » : certaines réticences alimentaires sont normales à un certain âge (néo-phobie) – par conséquent tenir compte du développement de l'enfant (aussi dans le cas d'une déficience intellectuelle !)
Troubles alimentaires = répertoriés dans le DSM (anorexie mentale, boulimie)
Problèmes alimentaires = plus large. Attention, même si un problème alimentaire n'est pas un trouble alimentaire, il peut néanmoins être très sérieux parfois et lourd de conséquences.
Plus un problème alimentaire apparaît tôt, plus il a de chances de perdurer dans le temps. (Mc Dermott et al, 2009)
AUTISME ET PROBLÈMES D'ALIMENTATION
Peu d'études, même si les problèmes d'alimentation sont déjà décrit par Kanner en 1943.
Les quelques études qui ont été réalisées montrent qu'il existe indéniablement davantage de problèmes d'alimentation chez la population autiste que non autiste (entre 46 et 89 % des enfants autistes ont a un moment donné des problèmes d'alimentation)
Les problèmes d'alimentation peuvent avoir des origines diverses : il faut veiller à écarter les causes médicales (physiologie, allergie...).
Les problèmes d'alimentation rencontrés le plus fréquemment chez les autistes sont les préférences et la sélectivité alimentaire ; la propension à manger peu ou encore les rituels liés à l'alimentation.
Des études ont également montré qu'il existe davantage de problèmes d'obésité dans la population autiste.
PROBLÈMES D'ALIMENTATION ET AUTISME : UN CADRE DE PENSÉE THÉORIQUE
Il existe aucune explication sure sur les problèmes alimentaires des autistes mais certains cadres théoriques peuvent nous permettre de poser des hypothèses.
Hypothèse 1 : théorie de l'intégration sensorielle :
Lorsqu'on mange (et de manière générale), les stimulis sont nombreux. Une personne ordinaire a des filtres permettant de réguler/sélectionner ces stimuli. Les autistes ont des « dysfonctionnements du filtre » qui est soit « trop actif » (engendrant hyporéactivité) ou « pas assez » (engendrant hyperactivité). A noter que l'hypo/hyperréactivité n'est pas un état absolu mais va dépendre du sens, du contexte, de la fatigue etc.
Exemples de comportements observables (non exhaustif !) :
Prêter attention aux stimuli avant et pendant une situation d'alimentation, dans le but d'éviter qu'il y ait une saturation de stimuli qui mettrait la situation d'alimentation en péril car l'enfant ne pourrait plus être capable d'en recevoir d'autres, à fortiori s'ils sont angoissants, comme un aliment inconnu.
Il peut être intéressant de filmer la personne en train de manger (de derrière) pour mieux prendre conscience des différents stimuli, filtrés par les personnes non autistes, ou pour avoir une vision plus globale.
On peut aussi poser la question à l'enfant sur ce qui le perturbe (ils ne le disent pas toujours spontanément !)
Il n'est pas possible de créer une situation idéale.
Quelques pistes en lien avec la théorie sensorielle : privilégier les matières qu'il supporte pour les contenants, espacer les gens à table, attention aux sources sonores (permettre les bouchons ou mp3), attention aux odeurs externes (fermer les portes) ou odeurs de nourriture (mettre des cloches, laisser refroidir)...
Hypothèse 2:Théorie de la cécité contextuelle (traitement de l'information différent et attribution de sens spécifiques)
Les autistes ont un mode de pensée différent. Essayer de le comprendre peut permettre une meilleure communication.
La théorie de la cécité contextuelle (Vermeulen, 2009) affirme que les autistes « n'utilisent pas spontanément le contexte pour donner du sens aux choses », pour comprendre une situation. L'interprétation des objets, des concepts est souvent très figée.
Il y a 3 façons dont la cécité contextuelle peut influencer l'alimentation :
1/ L'identification et l'évaluation des aliments.
L'environnement est compris sur la base « d'associations fixes ». Le moindre changement sur l'objet ou l'environnement (changement d'aspect, changement d'emballage, de marque, changement de lieu...) peut conduire la personne autiste à ne pas reconnaître l'aliment, donc à le refuser
2/ Comprendre la situation dans laquelle on mange
Identifier une situation d'alimentation (différent de manger) permettra à l'enfant autiste d'être plus en sécurité et donc plus enclin à manger, goûter de nouvelles choses car il saura que ce qui est proposé dans cette situation est susceptible d'être mangé.
Or les situations d'alimentation comprennent plusieurs variables, d'où donc questionnements sous-jacents, qui, s'ils ne peuvent pas être résolus, compris, vont engendrer des angoisses, une insécurité ayant des conséquences sur l'alimentation ; il sera alors important de clarifier la situation d'alimentation en instaurant des routines et en ayant une communication visuelle claire et concrète:
(nb : à chaque fois, la situation va être adaptée à l'enfant, en fonction de ce qui aura été observé, de son niveau intellectuel, de son évolution... ! )
- où dois-je manger ? → s'il y a un changement au niveau des places etc
* toujours au même endroit, là où il n'y a pas de distractions (lieu) ; toujours la même chaise (identifiable par symbole par exemple) ; s'il y a des changement : le voir avant avec l'enfant
- Quand vais-je manger ? → un changement de 15minutes peut parfois être très perturbateur !
* manger à heures fixes (repas, en cas...) et interdir le grignotage entre les repas (c'est le parent/accompagnant qui décide de l'en-cas en dehors des repas) afin de pouvoir mieux influencer les comportements de l'enfant. Faire un planning ; indiquer clairement lorsqu'il devra goûter qqch de nouveau.
- Que dois-je manger ? → chaque repas change...
* donner le menu à l'avance, adapté à l'enfant (selon l'enfant : écrit, images, indiquer ce qui sera chaud/froid, ce qui devra être mangé/gouté...) → but : rassurer les enfants !
Parfois, l'enfant est au contraire angoissé de savoir à l'avance qu'il y aura qqch qu'il n'aime pas etc → dans ce cas, ne donner le menu qu'à table
- Quelles quantités dois-je manger ? → dois-je manger tout ce qui a été amener sur la table ?
* commencer par une très petite portion (aux yeux de l'enfant) pour augmenter les chances qu'il mange ; cuiller-test, petite assiette séparée ; représenter ce qui va devoir être mangé/goûté
- Combien de temps suis-je sensé rester à table ? → règles claires à définir
* menu ou cartes séquences pour visualiser ou encore assiettes posées sur la table dès le départ → repas fini quand assiettes finies
- Pourquoi dois-je manger ? → ce n'est pas un plaisir, suis-je obligé de manger quand même ?
* trouver des points de motivation : assiette avec héros, arrangement de la nourriture de manière spécifique (visage par ex), possibilité éventuelle de récompense (mais à réaliser avec précaution : la récompense n'est pas forcément matérielle...)
- Comment dois-je manger ? → comment savoir si je peux manger avec les doigts ou non... ? Comportement à table
* matérialiser de nouveau avec règles, pictogrammes...
- Que faire après manger ? → discussions, vaisselle ; les situations sont changeantes
* bassin « mission accomplie »
Si certaines de ces questions sont sans réponse lors d'une situation d'alimentation, cela peut déclencher une forte angoisse et à fortiori, colère ou refus de manger...
Comme les autres situations de la journée, la situation d’alimentation doit être clairement définie : un début et une fin, comment cela va se passer, ce qu'il va y avoir au menu etc. l'enfant doit pour voir savoir ce qui les attend et ce qu'on attend d'eux. Cela pourra permettre une sécurisation et donc pourra avoir des effets bénéfiques sur la situation d'alimentation.
3/ Naissance d'idées fausses.
Un événement ayant lieu une fois peut entrainer la naissance de fausses idées, qui vont se fixer de manière immuable (pensée en noir et blanc). Par exemple, entendre parler d'un étouffement avec une arête une fois peut conduire l'enfant à ne plus vouloir manger de poisson.
APPRÉHENDER LES PROBLÈMES D'ALIMENTATION : QUELQUES POINTS QUI MÉRITENT L'ATTENTION
Tous les problèmes d'alimentation doivent-ils être traités ?
Non ! Il faut distinguer les problèmes et les conséquences et traiter le problème si les répercussions sont gênantes.
Il peut y avoir des répercussions à 2 niveaux : médical (surpoids, diabète, ou carences, maigreur) et social (moqueries, sentiment d'exclusion, retrait)
Il faut peser les avantages par rapport aux risques (par exemple, avec un enfant très déficient, il peut être difficile d'expliquer une situation d'alimentation ; en introduisant de nouvelles choses, il ne faudrait pas risquer qu'il ne veuille plus manger ce qu'il acceptait de manger avant)
Savoir ce qu'on veut et où on va :
objectif : « aider la personne autiste à trouver le courage pour manger de façon à préserver sa santé médicale et à éviter sa marginalisation et son exclusion sociale » (p.64)
(ne pas avoir des objectifs trop élevés qui ne pourraient être atteints)
Formuler des hypothèses :
Pourquoi éprouve t'il des difficultés à manger (observation du comportement dans des situations différentes : par ex, on peut dire qu'un enfant est hypersensible aux textures que si cette hypersensibilité se manifeste dans d'autres contextes )? Quelles adaptations peuvent en découler ?
→ chaque personne (autiste) est unique ! Il faut adapter les solutions à son profil pour augmenter les chances de réussite
- Laisser la place à ce qu'il peut arriver par hasard, sans en faire tout un plat (l'enfant peut subitement décider de gouter qqch ; ne pas faire trop de compliments ou remarques sur le sujet)
- Collaborer avec les autres acteurs (éducateurs, école...) → objectifs communs pour cohérence et optimisation des résultats.
Dissocier la situation d'alimentation et la situation d'apprentissage
Possibilité de faire des situations d'apprentissage, dissociées des situations d'alimentation (lieu différent par exemple). Elles sont à clarifier :
en situation d'alimentation : doit finir son assiette, doit manger avec couteau et fourchette...
en situation d'apprentissage : peut prendre à la main, 'jouer' avec nourriture, ne pas finir
Pour pouvoir réinvestir ce qui a été acquis en apprentissage en situation d'alimentation, il faut faire un lien (assiette d'une même couleur)
Varier les aliments autant que possible
Si l'enfant mange peu, faire manger ce qu'il mange déjà mais sous différentes formes. Varier petit à petit et être patient
S'HABITUER, GOÛTER, MASTIQUER ET AVALER
→ les 4 étapes de l'apprentissage ; parfois les étapes peuvent être sautées ; comme toujours, à voir en fonction de l'enfant
* habituation : aux odeurs, à la texture, à l'humidité... peut se faire par le jeu : construire un château de légumes, faire des tampons de pommes de terre...
* goûter = s'habituer avec la langue à ce qu'on va avoir à table ( ce n'est pas mâcher ni avaler ; ce n'est pas non plus aimer. But : trouver le courage de manger, et non, aimer). Possibilité d'analyser l'alimentation
* prélever une bouchée et mastiquer : important car au fur et à mesure de la mastication, l'aliment change de goût et de textures → on doit s'habituer( à expliquer parfois) – faire par étapes
* manger en petites quantités → but : avaler donc a le droit de mélanger avec autre aliment, boire de l'eau ensuite...
Il est important d'alterner les aliments qu'on essaie de faire manger
MANGER ET APPRENDRE À MANGER EXIGE UN CADRE MÉTHODIQUE : LA PSYCHOÉDUCATION
→ « leçons » sur l'acte de manger
But :
- fournir des informations (adaptées aux hypothèses ; donner des conseils que l'enfant sera capable de suivre)
- normaliser
- poser des questions
- tester et agir
Cela doit être adapté aux hypothèses ; donner des conseils que l'enfant sera capable de suivre.
Composer des fiches de travail avec objectif prioritaire clair ; elles alternent leçons et questions.
Se concentrer sur les progrès et réussites (agenda des victoires?)
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