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Ma phobie scolaire

par Alicia

          Mercredi, 9h30, mon premier cours de la semaine commence. Ou, en tout cas, le premier cours auquel je puisse assister sans faire de malaise. Etant étudiante en deuxième année de lettres modernes, après un parcours scolaire sans faute qui s’est conclu en beauté avec un 18 de moyenne au bac, les choses devraient être faciles pour moi. Or, ce n’est pas le cas.

 

Le premier cours de la semaine auquel je puisse assister est en amphithéâtre. En effet, l’amphi me dégage d’un certain nombre de facteurs angoissants. Certes, nous sommes nombreux, mais les contacts sont limités. Une large majorité parle entre elle, mais curieusement, enfreindre la règle du silence ne semble pas être ici une obligation. Je suis bien installée dans les premiers rangs, concentrée sur mon ordinateur portable, et je sais que je n’ai rien à craindre de la part du prof, car nous sommes dans un cours magistral, et non pas à un TD, comme dans la plupart des cours.

 

Les TD. Parlons-en puisqu’ils sont mon principal problème à la fac. Avant de rentrer à l’université, je pensais naïvement que les cours comme au lycée, c’était fini, il n’y aurait plus ni exposés, ni participation orale exigée. Il n’en n’est rien. L’université, c’est le lycée, mais en pire. Or, déjà au lycée, et même encore avant au collège, je commençais déjà à ressentir les symptômes de ce qui semble être une phobie scolaire : vertiges, sensation de claustrophobie, douleurs dans tout le corps lorsque je suis enfermée dans une salle de classe, et bien sûr, les très classiques maux de ventre et maux de tête. Moi qui croyais, encore une fois naïvement, que tous ces symptômes n’étaient causés que par l’approche du bac, puis par la pression de l’hypokhâgne, et qu’ils disparaitraient si j’allais à la fac, j’ai été bien déçue. Les choses ne se sont pas arrangées, bien au contraire.

 

Je vois déjà venir certaines personnes pleines de bonnes intentions : mais pourquoi ne peux-tu pas supporter quelques symptômes physiques, en sachant que ce n’est qu’un mauvais moment à passer ? Ou encore : mais pourquoi ne pas pratiquer la respiration abdominale pour te détendre ? (c’est du vécu.)

 

Sauf que malheureusement, le malaise va bien au-dessus des symptômes physiques, qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Nous entrons là dans le vif du sujet, dans ce que je pourrais appeler « la partie méconnue et inexplicable de la phobie scolaire ». Méconnue, car le malaise que je ressens est viscéral, il s’accroche à mes tripes et enfle de manière exponentielle jusqu’à ce que, privée de mots, j’en sois réduite à une fuite aveugle et sourde, sans rien comprendre à mon comportement. Inexplicable, précisément parce qu’il n’y a pas de mots exacts pour décrire un phénomène qui, me semble-t-il, est inscrit à l’intérieur même de chaque personne atteinte du malaise, et donc échappe à l’étiquetage des concepts généraux.

 

Mais ne nous perdons pas dans les limbes de l’abstraction textuelle, car, après tout, la phobie scolaire est tout sauf une abstraction, bien au contraire.

 

Prenons une situation concrète. Un jour (pas si éloigné, puisque j’ai vécu cette situation à peine quelques jours avant d’écrire cet article), alors que j’avais honteusement séché les cours du matin, j’avais décidé de me prendre sur moi et d’aller au premier TD de l’après-midi. Je n’avais aucune raison de l’éviter : il portait sur le surréalisme, un sujet que j’affectionne particulièrement. Armée de bonne volonté, le sac sur le dos, je me mettais bravement en route, malgré mon incompréhensible appréhension. Dans le métro, je ne cessais de passer en revue tout ce qui pourrait mal se passer : la claustrophobie qui monte, le prof qui fait l’appel (je ne sais pas pourquoi, j’ai toujours détesté ce moment), le prof qui nous fait plancher sur un texte (impossible de travailler efficacement dans une salle de cours), le prof qui nous demande de nous présenter à tour de rôle (fortement improbable, mais dans une situation de stress, l’improbable devient certitude), ou pire encore, qui nous demande de passer à l’oral devant toute la classe. Voilà peut-être le pire de mes cauchemars : devoir soutenir le regard de toute une assemblée. Quoiqu’il en soit, à peine arrivée dans le hall de la fac, j’ai senti des odeurs méchamment familières, je me suis perdue dans la foule oppressante, et en un rien de temps, je prenais la fuite et me réfugiais dans la bibliothèque, mon havre de paix. S’en est suivi un retour presque immédiat chez moi, à une heure de train de la ville où j’étudie. Game over. Encore un échec à ajouter à ma longue liste d’humiliations personnelles. C’est peut-être le plus dur à supporter dans toute cette histoire : le désarroi, la culpabilité et la honte de ne pas réussir à accomplir quelque chose d’aussi anodin que d’aller en cours. C’est d’autant plus insoutenable que je voudrais vraiment aller en cours. J’aime travailler, et je ne me prive pas pour le faire quand j’ai plusieurs heures de libre.

 

           Je ne comprends pas, et ne comprendrai peut-être jamais ce qui se passe dans ma tête. Néanmoins, en attendant, je suis persuadée que le système scolaire français est fondamentalement inadapté aux autistes, car il ne cesse de nous placer en difficulté sans pour autant nous aider sur ces points qui pour les enseignants semblent acquis : tout ce qui touche à la communication, notamment, qui semble évidente pour la plupart des élèves mais ne va pas de soi pour les autistes. C’est dommage. Je suis certaine qu’avec un peu d’imagination, on pourrait améliorer le système scolaire et donner aux autistes le confort psychologique nécessaire à l’acquisition du goût du travail.

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