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Les experts de Creteil                       Par Gérald

 

             

                                                                                                          « La mutation, c’est la clé de notre                                                                                                                       évolution. C’est elle qui nous a mené de                                                                                                               l’état de simple cellule à l’espèce                                                                                                                        dominante sur notre planète. Mais tous les                                                                                                            deux ou trois cents milles ans, l’évolution                                                                                                              fait un bon en avant... »

                                                                                                         X-Men, Professeur Charles Xavier.

 

 

 

 

 

Un jour en France

 

Introduction

 

Ne vous l’ai-je pas dit Madame La Juge à Lunettes ? Un autiste ne supporte que trop difficilement de ne pas avoir de réponse instantanée à ses textos, ses mails ou ses lettres. Au bout d’un certain temps, plus ou moins variable selon les spécimens, il commence à faire des ronds sur lui-même telle une bête féroce enfermée dans sa cage, une bête féroce qui ne

pourrait se dévorer qu’elle-même. Autrement dit, je ne vous l’avais pas dit, je n’avais pas osé, mais à l’époque où j’avais envoyé mon mail à Freddy de la Salpé, celui-ci ne répondant pas assez rapidement à mon goût, la tension devenant trop forte, le désir de réponse si insoutenable, j’avais commis l’irréparable et décroché mon téléphone pour appeler le Centre Expert Asperger de Créteil dirigé par la célébrissime Professeur Marion Leboyer. Freddy m’avait ensuite répondu et je m’étais retrouvé avec deux rendez-vous de diagnostiques (autiste un jour autiste toujours).

Je ne pense pas que quelqu’un puisse comprendre, hormis un autiste peut-être, ou un phobique, l’état psychologique d’angoisse dans lequel je me suis retrouvé alors que j’étais sagement chez moi mon téléphone à la main. Mais était-ce de la phobie ou tout simplement la conséquence directe du fait que je ne connaitrais rien du fonctionnement de la personne de l’autre côté du téléphone, des mots qu’elle utilise, de sa posture, de son costume, de ce qu’elle est ? Que je ne parviendrais pas à identifier si elle est une personne gentille ou une personne méchante ?

Quoi qu’il en soit, cette angoisse forme sans aucun doute le premier filtre, le premier barrage à passer pour accéder au rendez-vous diagnostique. J’imagine que nombre d’autistes demeurent bloqués derrière cette première épreuve un certain temps.

 

 - Bonjour j’aurais voulu un rendez-vous s’il vous plait.

 -  Pour ?

 - Euh.

 - Un diagnostic ?

-  Euh. Oui un diagnostic, c’est ça.

 

J’avais utilisé la même phrase que lorsque j’ai une gastro et que je dois aller chez mon généraliste pour faire vivre mon généraliste (payer la maison, la voiture et les vacances de mon généraliste)(on s’en fout on est remboursé, ça compte pas c’est gratos !)(tout comme les diagnostiques d’autisme à deux milles euros) en lui faisant dire que j’ai une gastro pour avoir du smecta gratos. Je pensais que ça passerait mais bien entendu, j’ai commencé à bafouiller lorsque la réponse n’a pas été « oui demain à dix-sept heures ? Vous êtes Monsieur ? ». Heureusement, la voix de la secrétaire étant emplie de bienveillance, nous sommes parvenus à entrer en communication.

 

 - Nous avons besoin d’une ordonnance de votre médecin traitant et si vous pouviez nous écrire un petit mot concernant votre ressenti ce serait parfait.

 -  Euh… Mon ressenti…

 -  Oui, ce que vous pensez, ce que vous vivez, ce genre de choses. Ce n’est pas obligatoire.

 -  Ah.

 

 

Après avoir raccroché, prêt à affronter le second filtre, la seconde épreuve de présélection au grand jeu « Gagner un Diagnostic d’Autisme », je me suis aussitôt attelé à la tâche.

Comme vous l’imaginez sans peine Madame La Juge, la lettre concernant mon ressenti ne représentait pour moi aucun problème. Les cinq pages reprenant très rapidement tout ce que je vous raconte depuis des jours et des jours furent bouclées... Comme on lâche un cri. Par contre, obtenir une ordonnance de mon médecin traitant… Je trouvais le coup plus que dur.

Je me voyais mal me pointer devant le bon Docteur M., la trentecinquaine, bogossedandy sur les bords du milieu, très bon médecin généraliste (filant droit vers le burn out) au demeurant mais pas psychologue pour trois sous (pas même deux en réalité) et lui balancer :

 

 - Wesh Cyril me faut une ordo pour passer les tests autistiques à Créteil. Je passe à 15h no soucy ?

 

La stratégie (élaborée par les plus grands stratèges du Pentagone) consistait à lui déposer le double de la lettre que je destinais à Créteil, lui laisser le temps de la lire (puis de me barrer au Canada faire un élevage de dindes tellement je meurs de honte), de réfléchir, de la bruler ou pisser dessus mais surtout de me signer cette foutue ordonnance. J’ai donc déposé cette lettre au secrétariat et j’ai attendu (pas trouvé de dinde dispo). J’ai laissé passer le week-end et j’ai encore attendu un petit peu. Finalement, le mardi suivant, je me suis dit que passer ce coup de téléphone à Créteil avait été très simple par rapport à celui que je m’apprêtais à passer.

 

 -  Chérie ? Où est la serpillère ?

 

Je me suis brillamment fait recevoir.

 

 - Avez-vous reçu mon courrier ?

 - Oui. (Silence tendu). Je pense que vous êtes complètement perdu, que vous ne savez pas vous-même ce que vous cherchez.

 -  Ah ? … J’aurais besoin d’une ordonn…

 -  Pourquoi ils me demandent ça eux ? Vous vous rendez compte de ce que vous me demandez ? C’est totalement absurde. Alors je vous fais un papier et… Vous vous rendez compte de l’absurdité de la chose ?

 

Oups. Position basse de rigueur. « Oui je sais, oui je comprends, oui je suis bien d’accord avec vous ». Bon et maintenant mon ordo je peux l’avoir Cyril ? Dans le genre maltraitance… Je suis passé la chercher au cabinet médical Saint-Nicolas, le saint patron si bienveillant des petits enfants, et Cyril m’a quasiment jeté mon ordonnance à la figure entre deux rendez-vous. Je ne l’ai toujours pas revu depuis. Aucun souci. J’avais obtenu ce que je voulais.

J’aime lorsqu’un plan se déroule sans accroc.

 

 

Première partie :

 

Je vous passe cette fois les préliminaires Madame La Juge. Ce sont à peu de choses près les mêmes que lors de l’épisode précédent (le héros s’est chié dessus).

Je me suis présenté au secrétariat avec un quart d’heure de retard (il faut savoir que je ne supporte pas d’être en retard, ça me stresse). Marion Leboyer, Professeur de son état, (attention !) a relancé d’un quart d’heure (c’était donc à elle de s’excuser et toc dans les dents !) avant de me faire entrer dans son bureau (j’ai la trouille hihi) Petite, sèche, la bonne humeur, la connivence et l’empathie ne m’ont pas semblé faire partie de ses atouts majeurs de séduction. En revanche, celle-ci (ou un de ses admirateurs) semble avoir un goût particulier pour les orchidées. Les bords de fenêtres de son grand bureau en débordent. Et ça, ça détend. Ça fait des trucs à compter et des questions à se poser. Un petit centre d’intérêt restreint Prof ?

Elle m’a fait asseoir en face de son bureau pour reprendre avec moi la lettre de ressenti que je lui avais fais parvenir par courrier. Après lui avoir confirmé de vive voix les points essentiels entre deux ou douze coups de téléphone pour l’organisation de conférences et autres banquets, elle a entrepris de refaire mon arbre pathogénéalogique avant de conclure en disant que tout ceci semblait correspondre et me demander si j’étais disponible en début d’après-midi (désolé tu n’es pas mon genre Marion) afin de participer à une étude avec un robot de passage à Créteil. J’ai accepté sans poser la moindre question (ce n’est pas trop mon genre de poser des questions aux gens)(avais-je bien compris le mot « robot » ?) puis m’a proposé de passer dans le bureau des secrétaires afin de remplir un questionnaire.

Cet entretien aura duré quinze à vingt minutes (un grand privilège apprendrais-je par la suite de la part d’une psychologue souhaitant garder l’anonymat).

En attendant que Monsieur Robot arrive, je me suis installé sur le coin d’une table dans le bureau des secrétaires afin de répondre à un questionnaire visant à l’insertion professionnelle des autistes (oublier l’open space les gars est effectivement oui une très bonne idée très originale !). Malgré la simplicité des questions celles-ci me posèrent quelques difficultés. Et pour cause, elles s’adressaient à des autistes. Et pour double cause, jusqu’à preuve du contraire, je vous le rappelle Madame La Juge, je ne suis pas autiste ! Je ne comprenais plus grand-chose à ce qu’on attendait de moi. Toutefois, plutôt que poser des questions et demander des explications, je me suis concentré très très très fort, et j’ai fait des croix dans des cases.

Une dame est ensuite venue me chercher. Avenante, douce, calme, à tel point que je ne comprendrais que trois heures après être parti de l’hôpital qu’elle était très probablement une psychologue et non ma grande-sœur. Elle m’a conduit, assez loin, dans une pièce sombre où se trouvait déjà une autre dame, une étrangère brune à l’accent so sexy trop mimi. Et… Oh double horreur ! Nous n’étions pas seuls ! Une bouffée d’angoisse m’a directement agressé de plein fouet. Un robot de forme humanoïde se tenait assis sur une chaise dans le coin gauche. Il me fixait d’un œil narquois, prêt à me sauter dessus pour me dévorer. J’en étais sûr et certain ! Il parait que cette angoisse est fréquente et qu’elle porte un nom scientifique (que j’ai oublié). Mouais… Faites ce que vous voulez mais moi je reste sur mes gardes !

Dix minutes plus tard, j’avais les doigts et la moitié du visage recouvert de capteurs censés mesurer mon rythme cardiaque, mon taux de sudation, ce genre de choses, et j’étais assis face à un écran sur lequel défilaient trois types de visages (une femme, un masque blanc dont les contours voletaient au vent et ne cessaient de me perturber et une reproduction androgyne de ce robot me semble-t-il) arborant tour à tour des émotions différentes que je devais identifier à l’aide d’un click de souris (un pur massacre). J’ai fait cette expérience deux fois d’affilée entrecoupée de pauses et de remplissage de questionnaires de types autistiques (la boite à parler au drive de macdo vous file des sueurs froide : plutôt pas d’accord, plutôt d’accord, vous la démontez à coup de bâte de baseball ?). La seconde, je me suis retrouvé à la limite de l’endormissement devant l’écran. Parfois, entre deux visages, un éclair blanc, comme un flash, traversait l’écran. Ce truc là m’a tout simplement ravagé la gueule. A tel point que je devais en fermer les yeux pour tenir le rythme du défilé d’émotions. Soit disant que ce flash assassin était un bug et que le concepteur du programme n’était pas parvenu à le régler, me répondra-t-on pas la suite. Mais oui bien sûr ! (règle numéro 1 : ne jamais croire un psychologue social). On appelle ça de la torture chez moi. Suivront d’autres expériences sur les sentiémotions, dont une avec le robot et la dame à l’accent so sexy, des expériences auxquelles je n’ai absolument rien compris et que je serais bien en peine de vous décrire Madame La Juge.

Je suis ressorti de là en milieu d’après midi. J’avais peine à me souvenir qui j’étais, ce que je faisais là, où j’allais, voire comment je m’appelais. Et pire que tout, je ne comprenais absolument rien. Je vous le rappelle Madame La Juge. Je ne suis pas autiste. En qualité de quoi serai-je considéré pour cette étude ? Qui étaient-ils au fond ? A quoi allaient servir les questionnaires que j’avais remplis ? J’étais venu pour obtenir des réponses, je suis reparti avec deux cents questions supplémentaires.

Selon les dires de Marion lorsque nous nous sommes quittés, le Centre Expert me recevrait d’ici un mois ou deux.

 

 

Seconde partie

 

Huit mois plus tard, j’étais assis derrière une table dans le box numéro 1 du fameux Centre Expert pour me faire… Expertiser. Bien sûr, comme vous vous en doutez Madame La Juge à Lunettes, j’affichais un air serein, décontracté et sûr de moi, le mec trop cool en somme ! Passons. Je suis cette fois arrivé avec une heure de retard (je ne supporte toujours pas d’arriver en retard mais bon… J’y suis allé ! C’est ce qui compte non ?).

Un neuropsychologue, la trentaine, distant, fermé et vraisemblablement pas là pour rigoler (d’ailleurs je ne suis pas certain qu’il sache rigoler)(ou disons plutôt que c’est le genre de type, lorsqu’il rigole tu ne peux pas t’empêcher de lui demander si quelqu’un de sa famille est décédé) se tenait en face de moi armé de gros livres et autres manuels. Moi, je suis pour la première fois depuis longtemps, moi-même. Trop marre de faire semblant Madame La Juge. Je n’ai dormi que quatre heures, fait vingt-trois kilomètres en deux heures, en résumé : j’en peux plus (avec d’autres mots cela pourrait donner : je suis grave saoulé par toutes ces conneries). Aussi ne l’ai-je quasiment pas regardé de tout l’interrogatoire. Je me suis contenté de répondre aux questions et basta. Je n’ai cherché ni à comprendre, ni à copiner, ni à passer pour un bon gars. Au diable les masques et les costumes. Plus vite nous en aurons terminé, plus vite je pourrais retourner à ma petite vie pourrie de névrosé.

 

 -  Pourquoi venez-vous ici et qu’attendez-vous de nous ?

 -  Des réponses, des solutions, des propositions.

 

J’ai subi quelques questions personnelles à tendance biographique suivi de toute une batterie de tests dont, dans ma grande clémence, je vous passerai le détail Madame La Juge.

Vous vous souvenez, je vous avais dit que c’était pas bien de critiquer la mesure du QI et que ses concepteurs devaient probablement savoir ce qu’ils faisaient le jour où ils l’ont élaboré. Maintenant que j’ai subi ce test, je dois bien avouer qu’il me faut revenir sur mes propos. Ce test est absolument critiquable. Par exemple, il ne répond absolument pas à la question « combien de point peut vous faire perdre la consommation d’un litre de Jean Lain Ambrée tous les soirs ? ». Que ce test puisse fournir une indication sur la façon de fonctionner et la rapidité de l’esprit du sujet à un moment précis d’une échelle temporelle, oui, peut-être. En tirer des conclusions de type général, euh… Cela me parait plus que douteux. Particulièrement avec des sujets autistes dont le comportement, et donc les réponses, vont largement dépendre de leur niveau émotionnel du moment. Ajouté à cela qu’avec un peu d’entrainement, n’importe quel sujet disposant d’une légère intelligence, voire même d’un brin d’autisme, sera capable d’assez largement augmenter son capital point et donc de biaiser toute l’analyse de sa personnalité. Alors, certes peut-être pas au point de passer pour un Einstein, mais tout de

même. Il me paraît assez évident que passer de 115 à 135 ne doit pas représenter une espèce de montagne infranchissable (arrête de picoler, dort six heures d’affilée et tu prends cash dix points mec !).

En conclusion, mon résultat au test de QI présente un écart allant jusqu’à vingt-trois points entre les différents items, soit bien plus d’un écart type de 15. C’est ce qu’on appelle un quotient intellectuel hétérogène, ce qui veut en réalité dire que le QI n’est pas mesurable. Il peut toutefois signifier une chose, ou deux. D’abord, mon cerveau ne fonctionne pas comme tous les autres (merci pour l’info…). Ensuite, l’hétérogénéité du QI, peut en elle-même être considérée comme un fort indice de trait autistique car la plupart des autistes obtiennent de tels résultats. Malheureusement pour moi, cet écart n’est soit disant pas suffisamment important pour avoir une telle considération, ce qui hélas pour eux n’est pas tout à fait exact…

Par ailleurs, selon le neuropsychologue, je suis l’heureux bénéficiaire d’un trouble déficitaire de l’attention, mais attention, sans hyperactivité, faut pas déconner. Je ne peux pas non plus. tout avoir Je m’en doutais un peu vu que j’éprouve de plus en plus de difficultés à tenir plus d’une demie heure en face d’une même activité mais je n’en faisais pas une quête existentielle. Bon, c’est toujours ça de pris. Avoir un TDA signifie que se concentrer trop longtemps sur une même tâche est difficile. Au bout d’un certain temps mon cerveau déconnecte et je ne fais plus attention. Si l’activité est de groupe je parviens à rester en place car je ne suis pas hyperactif, simplement je n’entends ni ne voit plus rien. Si je suis tout seul chez moi, je commence à faire des ronds dans mon salon, allez et venir et faire à peu près tout sauf ce que je suis censé faire. Posséder un TDA, vous l’imaginez bien Madame La Juge, est l’idéal pour passer un test, quel qu’il soit. Cela ne fausse pas du tout les résultats ! Bien sûr que non !

Si vous n’y voyez pas d’inconvénients, je me permettrais d’aller encore un peu plus loin. Eux n’y sont pas allés, quelqu’un doit bien se dévouer. Dans le compte rendu qu’ils m’ont par la suite rendu en guise de diagnostique figurent deux autres verdicts qui pourraient ici être intéressants.

En effet, le test censé mesurer mon degré d’anxiété atteint le très beau chiffre de 90, ce qui sur leur échelle correspond à une phobie sociale sévère (étonnant non ?). Le test de l’estime de soi donne un score de 18, soit sur leur échelle une estime de soi très faible. Ces tests, si je ne me trompe pas, ont été effectués par la psychologue, en tous cas ces résultats se trouvent dans la partie du compte rendu qui la concerne. Ne pourrait-il pas être intéressant que les (je ne sais pas en réalité, j’émets une idée… une idée bizarre oui je sais) différents membres de cette équipe d’expert communiquent trois minutes entre eux de temps à autres ?

Je ne sais pas moi Madame La Juge… Je ne suis pas neuropsychologue…Une phobie sociale doublé d’une estime de soi proche du néant ne forment-il pas par essence des biais dans le protocole de calcul du quotient intellectuel ? Des scores hétérogènes, un TDA, une anxiété sévère, une faible estime de soi, autant d’indices pouvant laisser supposer un potentiel autisme. Autant d’indices rendant ce fameux quotient intellectuel non représentatif et non mesurable. Pourtant, ils l’ont mesuré.

 

S’en est suivi un entretien conversationnel avec le psychiatre avec pour point d’appuis des questionnaires semi dirigés ou semi construits (en tout cas pas entier, pas fini… Ça c’est certain).

 

 

 - Pourquoi venez-vous ici et qu’attendez-vous de nous ?

 - Des réponses, des solutions, des propositions.

 

Tiens, ces questions me disent quelque chose… Passons. Cette partie a duré à peu près une heure et demie à deux heures. Ce psychiatre, au fort accent étranger (mais pas du tout so sexy lui), m’a très vite fatigué. Il a tout d’abord repris à l’aide de ses différents questionnaires les différentes problématiques autistiques, les obsessions, les rituels, les centres d’intérêts restreints. Puis, il a de nouveau fait exactement le même arbre pathogénéalogique que celui de Marion, qu’il avait d’ailleurs juste à côté de lui (allez comprendre l’utilité du truc…).

Le point de bascule a eu lieu lorsqu’il a craqué (ils finissent tous par craquer à un moment ou un autre, suffit d’être patient…). Lorsque nous avons abordé le sujet des émotions, il s’est penché sur le côté de la table, a attrapé ma lettre de ressenti et s’est exclamé : « Mais j’ai lu votre lettre là ! Des émotions vous en avez ! ». (Wahou !) Le coup était violent et totalement inattendu. (Monsieur se découvrait !) Je ne me suis pas démonté malgré l’attaque flagrante et la méconnaissance totale du sujet (lorsque je vous dis qu’il est de notoriété publique que les autistes n’ont pas d’émotions, je le sors pas de mon chapeau de magicien, hélas…) et lui ai rétorqué qu’effectivement j’en avais mais qu’elle passait essentiellement par l’écrit. Dès lors, je suis resté sur mes gardes.

Le second scandale est arrivé peu après, lorsqu’il a souhaité abordé la partie sensorialité. « Je suis sensible au bruit ». Et voilà, il a posé la question, j’ai répondu et c’était terminé. Il ne m’a pas laissé le temps de poursuivre et est retourné à son sujet de prédilection qui je vous le donne en mille est… Vous devinez ? Eh oui ! L’anxiété. (Ah ça par contre des questions sur l’anxiété j’en ai bouffées par pelletéebennes)(des pelles grandes comme des camions bennes, oui et alors ?). On n’y peut rien. C’est leur trip. La maladie du siècle. J’ai pourtant pris grand soins d’esquiver avec le talent digne d’un prestidigitateur les questions relatives à la dépression et au suicide (bien sûr que non je n’ai jamais d’idée noires, ma vie est un tel bonheur doc !) mais je me suis encore planté sur l’alcool. NE JAMAIS UTILISER LE MOT ALCOOL DEVANT UN PSYCHIATRE ! (ce n’est pourtant pas compliqué comme règle bordel !) Dites plutôt un truc comme : « je prends deux antidépresseurs le matin, deux anxyo à midi et deux somnifères le soir. Je ne comprends pas pourquoi je me sens un peu fatigué. ». Vous aurez certainement les félicitations du jury.

Il m’a renvoyé chez moi en me disant qu’il s’orienterait davantage vers un trouble d’anxiété généralisée doublé de troubles obsessionnels que vers de l’autisme (sans déconner ! J’avais

pas compris !). Et voici, encore le crime de pré-diagnostique accompli (à quoi servent ses collègues on ne sait pas trop)(Ils peuvent pas s’empêcher hein. Il faut qu’ils balancent leur trucs). Les neuropsychologues et psychologues quittent la pièce sans jamais rien lâcher, mais les psychiatres… On dirait presque un complexe non ? (hihi).

Les conclusions de ses deux heures d’entretien tiennent sur le compte-rendu en une quinzaine de lignes. Je ne vous en ferai pas autant.

Contact visuel de mauvaise qualité, prosodie monocorde, absence de réciprocité socio-émotionnelle, notions empathiques difficiles d’accès, froideur dans l’échange, communication non-verbale limitée, rigidité pour suivre une conversation réciproque, rituels et centres d’intérêts restreint sont rapportés, obsession de vérifications, affects anxieux présent, éléments visible d’anxiété au contact social. Pas retrouvé ce jour d’élément dépressif. Absence d’idées suicidaire.

 

Après ça, je suis rentré chez moi m’occuper de femmes et enfants, puis j’ai rejoint mon poste de travail de veilleur de nuit à vingt heures, poste que j’ai quitté le lendemain matin à sept heures pour repasser à la maison m’occuper de femmes et enfants pour le petit déjeuner, avant de me présenter parfaitement frais et ragaillardi devant la psychologue à neuf heures trente précises. J’étais cette fois à l’heure (situation identifiée est égal à un stress gérable). Autant vous dire, Madame La Juge, que n’ayant pas dormi depuis l’avant-veille si ce n’est vingt minutes par ci par là, ayant subi épreuves sur épreuves, j’étais plus que disposé à avoir une discussion courtoise et chaleureuse avec une gentille damoiselle.

 

 - Pourquoi venez-vous ici et qu’attendez-vous de nous ?

 

Euh… Là Madame La Juge, j’ai parfaitement reconnu l’émotion qui s’est totalement emparée de moi. C’était une bonne grosse envie de péter un plomb. (Eh les gars, jamais vous parlez entre vous ? Pourquoi vous me faite répéter pendant dix minutes ce que j’ai déjà répété deux fois la veille ?) J’étais très fâché et ça a du se sentir. Pour autant, je suis parvenu à me contenir et tout de même jouer le jeu (ceci dit nous ne sommes pas passés loin du carnage).

 

 - Des réponses, des solutions, des propositions.

 

S’en est suivi un entretien, lui aussi semi quelque chose, entrecoupé de tests assez étranges, comme par exemple reconstruire un puzzle de pièces rouge et bleues, les unes ne pouvant pas être disposées de façon symétriques par rapports aux autres. Très énervant ! Se lever et se brosser les dents. Aucun souci. Enfin je crois. Raconter l’histoire d’un album pour enfant dans

lequel ne figure aucun mot. Là, au bout de quatre pages, je me suis penché et j’en ai fait des confettis avec mes dents. Je plaisante bien entendu, mais j’aurais dû ! Je n’ai pas pu aller au bout. Le bug avait cette fois pris la forme d’un mélange de vide intellectuel sur un lit émotionnel d’énervement et de résignation. Imparable. Il m’était impossible de trouver les mots, ce qui m’empêchait de voir (pas comme un aveugle, un non-voyant pardon), d’être capable d’identifier les éléments du livre, de les relier entre eux. J’étais comme paralyser et cela m’a fortement chagriné. Je n’aime pas ça. Quant à choisir des objets sur la table et raconter une histoire… Comment voulez-vous raconter une histoire avec une paire de lunettes, un lacet, un chandelier et… Cinq minutes de silence.

 

 - Bon on passe à la suite ?

 - Oui.

 

Les questions ont là aussi défilés. Parfois, je sentais la psychologue déborder du cadre de l’entretien, tenter un rapprochement conversaconfidentiel, je relevais alors la tête et la surprenait souriante et rougissante. (Elle est gentille cette petite. Mais qu’est-ce qu’elle me veut avec ces questions ?).

Pour les amoureux des chiffres et des échelles, mes scores à l’Ados (Echelle d’Observation pour le Diagnostique de l’Autisme) sont tous au dessus du seuil de l’autisme,(excepté pour les comportements stéréotypés et intérêt restreint ou je me suis tapé la bulle) et quasiment chacun des traits se retrouvent dans ses commentaires. Malgré cela, elle conclut par : « Il apparaît au premier plan une anxiété sociale prononcée. Celle-ci semble perturbée le fonctionnement de M.D au quotidien. Parallèlement, Monsieur montre une tendance à la rationalisation, laissant peu d’affect transparaître. Dans ce contexte, il apparaît difficile d’isoler un trouble du spectre de l’autisme malgré la présence de plusieurs symptômes ».

Traduit cela signifie tout simplement que vous aurez beau être autiste, si vous êtes en plus anxieux, les experts ne seront absolument pas en mesure de faire une quelconque distinction et donc d’établir un diagnostique. Passez votre chemin.

Elle m’a fourni un questionnaire d’une quarantaine de pages dont une partie à remplir par ma femme, puis je suis sorti. Je suis repassé chercher ma femme à la sortie de son travail, les enfants à l’école, fait une sieste de deux heures et je suis reparti travailler. Nous avons plus tard répondu aux questions (et divorcé) (je plaisante, je suis un autiste avec humour !) puis nous avons repris le cours de notre vie.

 

 

 

 

Restitution

 

Il y a des jours dans la vie où l’on préférait élever de la dinde au Canada (encore oui), c’est certain. Mais bon... Ce serait un peu lâche de fuir avant la fin de l’histoire. A moi de l’affronter cette fin. Après tout, je l’avais voulu ce moment.

Aussi, un mois plus tard, je me suis de nouveau retrouvé dans le hall d’entrée du Centre Expert, les mains dans les poches et faisant des ronds près du radiateur. En avance cette fois. J’ai attendu une petite heure que nos chers professionnels sortent d’une réunion et daignent s’occuper de moi. Pendant ce temps, j’ai pu constater que parmi la quinzaine de personnes travaillant à cet étage et étant passé devant moi, pas une seule ne m’a dit « : « bonjour ». Je ne vois que trois explications :

 

1/ Il y a dans ce service plus d’autistes qu’on ne le croit

2/ Ces gens sont tous des gros mal élevés mal polis

3/ Tout simplement, on ne dit pas bonjour à un rat de laboratoire.

 

Le psychiatre qui s’était occupé de moi est venu accompagné d’une jeune femme que je n’avais jamais vue, une autre psychiatre en l’occurrence (deux psychiatres pour moi tout seul ? La zone devient dangereuse là !). Ils m’ont lu mon bilan en tentant de me fournir des explications rationnelles. Je les ai écoutés. Ils m’ont demandé ce que j’en pensais, et j’ai buggé. Je n’en pensais rien. Il n’y avait rien à dire. Ces gens n’y connaissent rien, ou pas grand-chose, ou en tout cas pas suffisamment, de plus ce genre d’équation se dessine toujours instantanément dans mon esprit. Ce sont des psychiatres, ils viennent de se créer une croyance mutuelle, ils sont deux contre un, mes chances d’obtenir, ne serait-ce que deux secondes d’un début de réflexion de leur part, est proche du néant. Ils ont raison j’ai tort et si je ne suis pas d’accord leur but sera de m’amener à penser comme eux. A la fin c’est moi qui passe pour une grosse merde et qui perd encore trois points de confiance en soi (comme d’après ce qu’ils disent il ne m’en reste déjà plus beaucoup pour le reste de ma vie, on va la jouer discrète). J’ai perdu d’avance. Je passe.

Le verdict était sans appel. Malgré des « symptômes évocateurs d’un trouble de l’autisme », compte tenu d’une « anxiété présente au premier plan » et de l’absence d’accès à mes parents et donc d’information relative à ma petite enfance et mon développement, ils ne pouvaient être formels quant à mon autisme. La conclusion de tant d’épreuves était donc celle-ci. « Vous présentez certains traits du spectre autistique ainsi qu’une forte anxiété mais nous ne pouvons être formels ». Serai-je le premier autiste au monde à être devenu autiste et non à être né autiste ? (purée ça serait la classe ça !)(J’en demandais pas tant les gars !)

Que voulez-vous répondre à ça Madame La Juge ? C’est un peu du « ni oui ni non ». « Y a un truc mais on n’est pas sûr » (et on ne peut pas aller vérifier. Bon beh tant pis hein !). Notez, que ces gens se font appeler « Centre Expert ». Des experts de ce niveau…

Ils ont affiché en face de moi un air navré et compatissant (je l’ai bien reçu celui-là merci), un air qui voulait tout simplement dire, ou plutôt dont le but était que je me casse le plus vite d’ici et que je ne fasse pas d’histoires. Ce que j’ai fait vu que ce n’est pas mon genre (j’ai rien à dire moi, ce sont eux les experts).

Avant cela, le Monsieur m’a demandé pourquoi j’avais l’air déçu. Je leur ai répondu que ce n’était pas pour moi que j’étais déçu, que je savais très bien comment je fonctionnais mais que c’était pour les gens autour de moi. La dame m’a demandé si leurs recommandations (recommandations que voici :

 

 -  Prise en charge psychothérapeutique de type TCC

 - Participation à des groupes d’habiletés sociales

 - Suivie par un psychiatre avec traitement médicamenteux longue durée à base de ISRS

 -  Une activité de remédiation cognitive axée sur les capacités attentionnelles et les fonctions exécutives au quotidien

 -  Travail sur l’autonomie et l’investissement des tâche au quotidien de type SAMSAH (assistante sociale)

 -  Bilan génétique et IRM structural sont proposés à M.

 

 

(on attends toujours) me satisfaisait (j’ai rigolé dedans moi) et j’ai répondu « oui » afin d’écourter la séance au maximum et de les satisfaire. C’est à cet instant que nous sommes passé d’un moment d’une tragédie où le type se barre et va se suicider à coup de Leffe, à du tragicomique où le type se barre et va quand même se suicider à coup de Leffe mais en mourant de rire.

Afin que je puisse participer aux ateliers Samsha (le truc pour aider les handicapés à gérer le quotidien), la dame m’a proposé de me faire la recommandation MDPH. Rien que ça. Je leur ai donc demandé une toute petite précision.

 

 -  Je suis assez autiste pour la MDPH, (et donc avoir le statut social d’handicapés), mais vous ne pouvez pas être formels ?

 -  Ça n’a rien à voir, m’a répondu l’homme. La MDPH c’est administratif, nous c’est scientifique.

 -  Ah.

 

 

Je suis sûr que la MDPH appréciera à sa juste valeur. J’ai décliné la proposition. La dame m’a alors demandé si je voulais une lettre pour m’introduire auprès du psychiatre censé me gaver d’antidépresseurs. Bien que sachant que je n’irais volontairement jamais voir un psychiatre de toute ma vie à moins d’être au fond du gouffre, (et encore c’est très peu probable, mon côté gothique romantique adore la spéléo) j’ai tout de même acquiescé. (J’aime rendre service aux gens et faire en sorte qu’ils se sentent important oui). Elle est revenue quelques minutes plus tard. Et là encore… « A l’issu du bilan une forte suspicion de troubles du spectre de l’autisme a été évoquée, ne pouvant être formellement posée en raison de l’absence d’informations sur la petite enfance (autrement dit Madame La juge, si comme moi vous n’avez pas ou peu de parents, il ne sert à rien de se présenter devant eux, ils ne sont pas en mesure... d’expertiser !) ainsi qu’une forte anxiété associée à une consommation d’alcool régulière (purée avec eux les viticulteurs et autres brasseurs feraient faillite en trois mois !)… ».

 

Amis autiste anxieux et sans aucun lien avec votre famille… Il n’y avait rien à ajouter. Alors je n’ai rien ajouté. Je suis parti et ils m’ont regardé partir, soulagés. Moi aussi.

 

Si vous le permettez Madame La Juge, nous conclurons demain. Il se fait tard et…

Je m’appelle Gérald, j’ai trente-huit ans, une femme, trois enfants, un métier tout pourri, des galères, comme tout le monde et… J’ai réussi l’exploit d’être déclaré officiellement informellement autiste ! Et maintenant tout le monde le sait.

 

 

 

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