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L'importance du diagnostic                                

ou les limites des auto-diagnostics                                                               par Weirda

 

 

A l’heure où Laurent Mottron sort son nouveau livre, j’ai eu envie, avant de le commencer, de relire le premier, "L'autisme: une autre intelligence", que je n’avais lu que par passages, la première fois.

L’ensemble du livre est très intéressant. Toutefois, certains passages m’ont sauté aux yeux et sont intéressants, je pense, à mettre en regard avec ce que l’on peut voir de part et d’autres, sur des groupes de personnes autistes, sur des blogs etc.

 

L’autisme est encore mal connu. Bien sur, les progrès dans sa compréhension depuis ces dernières décennies sont immenses. L’autisme est assez loin de la vision stéréotypée qui prédomine encore dans l’esprit des tout-venant voire des professionnels : l’idiot qui ne cesse de se balancer et se tape la tête contre les murs, ou, la même image version savant. Mais sous le spectre de l’autisme est rassemblée une grande diversité de personnes, plus ou moins atteintes, plus ou moins handicapées par leurs spécificités.

 

Depuis quelques années, on entend davantage parler d’autisme de haut niveau et surtout du syndrome d’asperger et il s’avère que des personnes adultes se reconnaissent dans les descriptions réalisées par des adultes autistes ou des professionnels et cherchent à se faire diagnostiquer. Ceci a été mon parcours, comme celui de beaucoup d’autres. Pourtant, l’autisme n’apparait pas à l’âge adulte, au contraire puisqu'il s'agit d'un trouble neuro-développemental et qu'à l'âge adulte, en général, certains sympptômes sont moindres. Mais nous devons alors préciser qu’il y a quelques années en arrière, le diagnostic d’autisme était beaucoup moins posé du fait de méconnaissance et de définitions moins inclusives. Toutefois, on constate qu’en France il persiste aujourd'hui un grand problème de diagnostic, avec des professionnels souvent peu au fait des recherches actuelles, gardant en tête l’image précédemment citée (et oui!) et conduisant à des sous diagnostics ou à des diagnostics erronés, à de longs parcours psychiatriques parfois et à diverses situations compliquées (pour ceux qui s'intéressent au sujet, je conseille ces ceux articles: 1.ici et 2.là).

Clairement, il n’est pas facile d’être autiste adulte plutôt autonome en recherche de diagnostic en France (mais aussi en suisse ou en Belgique) mais il existe toutefois de bons professionnels ou de bonnes équipes dans certains CRA.

 

Devant cette difficulté de diagnostic, il existe une recrudescence d’« auto-diagnostics», c’est à dire de personnes qui se sont elles mêmes diagnostiquées autistes, à partir des écrits qu’elles ont lu, et qui, à partir de là, pensent qu’il n’y a pas de doute possible.

 

Très franchement, je déteste le terme « auto-diagnostic ». En effet, beaucoup de personnes peuvent elles mêmes se retrouver dans les signes cliniques de l’autisme (à tort ou à raison) et demander un diagnostic. Encore une fois, c’est moi-même ce que j’ai fait. Je crois même que l’on peut dire que la majorité des adultes autistes ont trouvé eux-mêmes qu’ils présentaient des signes cliniques s’apparentant aux symptômes de l’autisme et qu’il fallait réaliser un diagnostic auprès de professionnels connaissant l'autisme. En revanche, au cours de mon parcours, je n’ai jamais eu de certitude. Certes, je me connais mieux que quiconque et ce que j’avais lu au sujet de l’autisme m’avait fortement perturbé tant je m’y retrouvais. Toutefois, je savais aussi que le jugement humain pouvait être influencé par divers biais de raisonnement. De quels biais s’agit-il exactement ? En réalité, il en existe de nombreux et loin de moi l’idée de vous faire un cours sur le jugement humain et les mécanismes de raisonnement (mais d’excellents youtubeurs le font parfaitement en revanche et je ne saurai que conseiller certaines chaines comme La tronche en biais ou encore Crétin de cerveau). Toutefois, je vous conseillerai, si cela vous intéresse, de regarder du côté du biais de confirmation qui est l’un des biais les plus répandu et qui consiste à « Préférer les éléments qui confirment plutôt que ceux qui infirment une hypothèse ». Le raisonnement peut également être influencé par le biais de représentativité, par l’effet de halo ou encore le plus connu effet barnum. Or ces biais existent chez tout le monde... C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils constituent des biais de raisonnement !

Mais outre cela, je savais que je n’avais pas les connaissances suffisantes en psychologie, en neuropsychologie et en psychopathologie etc pour poser un diagnostic différentiel (alors que les professionnels, bien que pouvant également être soumis à certains biais de raisonnement, ont ces connaissances, ou en tout cas, sont censés les avoir).

Pour moi, il était donc impensable de parler d’ « auto-diagnostic » et je préférais parler de « recherche de diagnostic ».

Pour moi, il était donc encore plus impensable de m’affirmer autiste sans avoir eu l’avis de professionnels.

Enfin, pour moi il était tout à fait inimaginable de donner des leçons, d’affirmer que les autistes pouvaient être comme ci ou comme ça car moi même j’étais comme ci ou comme ça alors même que je n’avais pas eu l’avis de professionnels.

Je croyais que ce besoin de clarté, de vérité (si tant est que l’on puisse parler de ‘vérité’ dans un tel cas) ou tout du moins d’une certaine rigueur scientifique quant à ce diagnostic pouvait bien être lié lui aussi à mon autisme, autisme qui nous rend bien souvent désireux de savoir, en s’appuyant sur des fondements un minimum solides. Pourtant, tout le monde ne semble pas fonctionner de la sorte...

 

Bref, revenons à notre Mottron ;-) et à nos auto-diagnostiqués.

Bien souvent, ces derniers justifient leur diagnostic à un très haut score au fameux aspie-quizz.

Mais là encore ALERTE ROUGE !

 

1/ Un très très haut score, proche du maximum, me laisse toujours un peu songeuse (un très haut score, impliquent des difficultés très très très importantes et donc pas forcément la possibilité d’avoir un travail, une famille, d'avoir suivi une scolarité plus ou moins ordinaire etc)... Cela peut parfois être le reflet d’un biais de raisonnement : la personne va identifier la moindre de ses actions, le moindre de ses traits comme un signe caractéristique de l’autisme. Par exemple : ‘ les gens m’agacent ‘→ donc j’ai des soucis sociaux → donc je suis autiste (sans même se rendre compte que cela n’a rien à voir... ! Certains confondent leur misanthropie avec les difficultés sociales dans l’autisme, alors que bien des autistes sont plutôt philanthropes...). ‘En plus j’adorais me balancer enfant’, comme les autistes donc je suis autiste. Sauf que les choses ne sont pas aussi simples puisqu’il faut tenir compte des comportements à l’âge de développement – par exemple, Mottron indique qu’à un certain âge, balancement et hand flapping sont présents chez la plupart des enfants. Encore une fois, c’est la multiplicité des signes, leur lourdeur, et leur impact sur le quotidien qui va permettre de poser un diagnostic

 

2/ attention aux questionnaires, de manière générale et encore plus à ceux en ligne. Mottron met en garde contre les écueils des questionnaires réalisé auprès des parents. Je crois que sa réflexion et ses arguments peuvent être les mêmes lorsqu’il s’agit de nous -mêmes. Il indique :

« L’utilisation de ces questionnaires prolifère en rapport avec l’absence de cliniciens susceptibles de porter un diagnostic. » et s’il souligne qu’ils peuvent constituer un guide, il indique qu’ils sont « fortement sur-inclusifs, c’est-à-dire qu’il produisent un biais en faveur des réponses positives ». Il reconnaît que les parents sont ceux qui connaissent le mieux leur enfant et doivent prendre part au diagnostic, tout comme la personne adulte à mon sens mais il indique que ces derniers (et je rajoute, tout comme la personne adulte), « ne sont pas des experts en autisme et encore moins en diagnostic différentiel des troubles neurodéveloppementaux ». Par ailleurs, il pointe l’écueil que le parent « reconnaît son enfant dans chacune [des descriptions] », problème, qui, je pense, existe aussi chez certains adultes. Moi même, je me suis souvent questionné sur certains de mes 'signes'. Par exemple, est-ce que le fait de bouger rapidement ma main ou mes doigts lorsque je me concentre peut-il être considéré comme une stéréotypie? Ou encore, je sursaute s'il y a un bruit fort mais si je m'y attends (par exemple, une moto qui arrive de loin et dont le bruit est croissant), ça va. Mais tous les gens ne sursautent-ils pas? Je sais que je vais davantage sursauter que d'autres mais est-ce que c'est à prendre en considération ou non? Quelle est la norme? etc

Pour terminer sur ce point, Mottron indique par ailleurs que si on applique les critères de manière « livresque », sans avoir une connaissance très fine des autismes, nous pourrions au final « inclure la moitié de la planète » dans l’autisme. Car en effet, la recherche a bien démontré que des symptômes de l’autisme peuvent se retrouver chez tout un chacun, comme l'indique cette recherche par exemple.

 

Alors je ne veux pas que mon message soit mal interprété car je ne dis pas qu’une personne qui se pense autiste et n’a pas de diagnostic, a tort. Dans bien des cas, les questionnements de la personne sont justement fondés. Ces personnes vont souvent chercher un diagnostic. Certains l’obtiennent d’autres non. Certains ne l’obtiennent pas car ils ne sont pas autistes, d’autres ne l’obtiennent pas car les professionnels rencontrés ne connaissent pas l’autisme... Pas évident tout ça...

En revanche, je mets en garde les personnes qui sont trop sures de leur « auto-diagnostic » sans avoir vu aucun professionnel, et j’aimerais que ces dernières puissent prendre plus de précautions. Par exemple, dans un monde idéal, j’aimerais qu’une personne auto-diagnostiquée qui fait un blog, ou qui intervient en tant que personne autiste sur un forum, le fasse en précisant clairement cela (ce que font certains d’ailleurs). Loin de moi l’idée de créer une scission entre diagnostiqués ou non, mais pensez-juste que des personnes peuvent se retrouver dans vos écrits et être induites en erreur si vous n’êtes pas autiste...

 

Mon conseil pour tout un chacun qui se pense autiste est vraiment de réaliser une démarche diagnostique par une équipe de professionnels afin d’avoir un regard extérieur qui me semble primordial car si certains professionnels connaissent mal l’autisme, d’autres en revanche connaissent très bien mais connaissent également les diagnostics différentiels possibles au regard de votre profil. Ce diagnostic est important pour soi avant tout. Dans cet article, je vous parlais d'ailleurs de mon parcours diagnostique, qui n'a pas été simple, mais qui m'a au combien apporté.

 

En ce sens également, il me semble très important de pouvoir développer des outils diagnostics fiables et sensibles pour les personnes avec autisme sans déficience intellectuelle, et en particulier pour les femmes, afin d’éviter ces deux écueils : que des personnes autistes n’arrivent pas à se faire diagnostiquer et que des personnes non autistes s’affirment autistes sous prétexte d’un manque de connaissance de la part des professionnel (manque de connaissance qui est souvent réel malheureusement).

 

 

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