Autisme Regards Croisés
Odyssée en pays Asperger
( extrait )
Laisse-moi être autiste
Maintenant quand mes yeux se fixent et que je pars dans mon monde, maman passe sa main devant mes yeux et je reviens parmi nous. Des fois, lorsque nous discutons ensemble, il y a un silence et je pars. Cela arrive surtout le matin lorsque je ne suis pas encore assez réveillée, lorsqu’il y a trop de stimuli ou le soir quand je suis bien fatiguée. La plupart du temps j’essaie d’éviter de partir trop longtemps et je m’efforce de rester présente.
Souvent cela ne dure que quelques secondes. Si je me laisse faire, je peux rester dans ma bulle durant de longs moments, le temps n’a plus de prise sur moi et je me ressource.Quand je suis dans mon monde c’est comme si mon cerveau se déconnecte, je n’entends plus les sons avec autant de force, je vois les choses à travers un brouillard, c’est reposant, la lumière qui entre dans mes yeux est douce et je me sens détendue. Durant ces moments, il n’y a pas de pensées particulières, pas d’images précises dans ma tête, c’est comme un paysage nimbé de brouillard, j’aperçois à peine les formes des choses qui m’entourent, les sons sont agréables.
Dans les situations où il y a trop d’agressions sensorielles, trop de bruits, trop de lumière, trop de stress ou lorsque je dois me concentrer sur une longue période, mon cerveau déconnecte et j’ai beaucoup de peine à lutter pour rester présente. Ce phénomène m’angoisse terriblement lorsque je suis au volant d’une voiture ou dans une situation sociale où il faut être présente et concentrée.
À l’école, durant les cours, je partais mentalement assez souvent et pour de longues périodes. Ensuite, je devais compenser et essayer de rattraper le retard, il y avait toujours des trous ou des manques dans mes notes et cela me frustrait énormément.
Plus jeune, j’avais beaucoup de peine à lutter contre ces déconnexions involontaires, maintenant j’arrive légèrement mieux.Les sensations qui annoncent la perte de la conscience de moi-même échappent souvent à mon contrôle. Adulte, je peux parfois même les provoquer. Ces échappées me donnent l’impression de ralentir le monde, je les provoque en restant immobile et en fixant longuement un point que j’ai choisi.....Le sport à l’école, ça a toujours été ma bête noire. Je voulais rester au bord contre les murs, les profs, voulant m’intégrer au groupe, me poussaient et je me retrouvais toujours au milieu de la salle de gym, raide comme un piquet, ne sachant que faire de mon corps trop grand pour moi. Les autres élèves m’envoyaient des ballons sur la figure en se marrant toutes dents dehors et moi j’avais honte.
Les balles à envoyer et à recevoir, ce n’est pas mon truc, impossible d’y arriver. J’éprouve de grandes difficultés pour estimer la vitesse du ballon, sa trajectoire, et lorsque je dois serrer les mains pour le saisir, le ballon me frappe au visage avant que j’aie pu accomplir le bon geste au bon moment.Dans les jeux d’équipe, personne ne voulait me prendre dans son camp, les autres élèves me reprochaient de leur faire perdre la partie par ma maladresse. À l’école, j’essayais de me joindre à des jeux collectifs. S’il y avait un ou deux élèves, ça allait. Dès que le groupe était plus grand, j’avais beaucoup de peine à m’y intégrer.Je n’ai jamais trouvé facile de reproduire les mêmes gestes qu’une personne à côté ou en face de moi. Durant les cours de gymnastique, la prof était en face de nous et nous montrait les exercices que nous devions faire. Je n’étais jamais synchro avec les autres, est-ce un problème de gauche et de droite que j’ai toujours confondues ou un problème de coordination ? Durant ces cours, j’avais le sentiment de ne pas arriver à réagir au bon moment, avec les bons gestes. Comme j’étais maladroite et raide avec mon corps, la prof me gardait des fois plus longtemps après le cours pour essayer de me corriger. Au bout de six mois, elle a abandonné, me disant que j’étais rigide dans mon corps et dans ma tête, que l’on ne pouvait rien faire de bien avec moi. À nouveau, sentiments de honte et de désespoir pour moi.
Quand une personne marche à côté d’une autre, elles se synchronisent pour marcher au tempo, avec moi ça ne marche pas. J’ai souvent remarqué lorsque deux personnes marchent côte à côte, elles avancent le même pied en même temps et marchent au même rythme. Moi, je suis toujours à contre-courant, décalée, avec un ou deux pas de retard. J’ai essayé de marcher pareil à l’autre, mais cela se décale très rapidement. Nous avions des cours de natation à la piscine de l’école. Si l’eau n’était pas trop froide, j’aimais bien y être lorsque les autres élèves me laissaient tranquille, car j’aimais rester seule dans un coin. J’avais toujours beaucoup d’appréhension à m’approcher des autres, car ils avaient remarqué que je supportais mal d’être giclée, cela me provoquait des réactions exagérées. Ils se comportaient comme un animal qui course une proie apeurée. Apprendre à nager m’apportait du réconfort, du plaisir, j’apprivoisais l’eau et me sentais bien. Comme il me fallait plus de temps que pour les autres à cause d’une difficulté de coordination bras et jambes, gauche et droite, la prof de natation s’impatientait avec moi, elle manquait un peu de compréhension.
Un jour, il y avait un deuxième prof. Les autres élèves avaient bien progressé et moi je nageais encore comme un petit chien en battant des mains ; j’étais toujours dans le bassin où on pouvait toucher le sol avec les pieds. Le deuxième prof est venu pour nous apprendre à nager lorsqu’on a plus le fond. En voyant ma réticence, il m’a traitée de tête de pioche et m’a ordonné de sortir de l’eau. Je n’osais pas lui avouer ma peur. Les profs et un élève plus grand m’ont empoignée par les bras et les pieds et m’ont jetée au milieu du grand bassin. L’esprit de survie étant très fort chez moi, j’ai réussi à nager jusqu’au bord, mais depuis je n’ai plus aimé la piscine à l’école.
Maintenant, j’aime les bains thermaux. J’apprécie l’eau chaude qui enveloppe mon corps, calme les tensions et diminue le stress. Je vais parfois au bain avec une amie et en arrivant nous faisons 10 ou 20 longueurs dans le bassin pour la gym, puis nous allons nous prélasser dans l’eau chaude, j’aime aller où il y a des grosses bulles. Ce bain me fait du bien, car il y a des personnes plus âgées qui sont calmes et respectueuses ; lorsqu’il y a des gosses chahuteurs qui giclent, je m’éloigne très rapidement.Chaque fois que nous allons au bain, je me fais une séance de hammam. C’est une sorte de chambre où il fait presque nuit, avec un plafond en voûte dans lequel brillent des lampes minuscules, brillantes comme des étoiles. Toute la pièce est recouverte de carrelage, il y a des bancs sur tout le tour et une fontaine au centre. On ne doit pas parler et toute l’atmosphère est remplie de brouillard. On entend le bruit de l’eau de la fontaine qui coule doucement. J’aime cet endroit, être assise seule et pouvoir me ressourcer.Souvent j’ai rêvé d’être détendue, souple, à l’aise, mais c’est tout le contraire, ma démarche est plutôt raide, assez mécanique, mes amis me demandent parfois si j’ai avalé un balai ! Il m’arrive de marcher avec les bras derrière le dos et les mains jointes dans le bas du dos, je n’ai pas souvent vu quelqu’un marcher comme ça. Je ne sais pas trop où mettre mes bras. Certains jours lorsque je pars au travail, c’est comme si mon système de marche est tout d’un coup modifié, soit ma démarche est encore plus bizarre que d’habitude, soit je marche de travers, avec des gestes étranges ou avec une légère claudication. Les potes du boulot me demandent pourquoi je boite, alors je me rends compte de la chose et me concentre pour marcher normalement.Enfant, j’aimais bien me mettre sur la pointe des pieds et marcher sur les orteils, maintenant je ne peux plus le faire, car j’ai souvent un nerf qui se coince entre le troisième et le quatrième orteil et ça tire jusque dans le mollet. Un jour, j’étais allée chez l’ostéopathe pour des soucis de tensions dans le dos et c’est lui qui m’a dit que j’ai une sorte de syndrome aux pieds. Dans les situations où je me sens tendue, pas en phase ou mal à l’aise, j’ai de grandes tendances à me tordre les doigts, à exprimer mon angoisse ou mon insécurité avec mes mains, à les frotter ensemble. Pour me détendre, je me passe les mains plusieurs fois sur la figure...
Lorsque j’étais enfant, je jouais plutôt seule, je ne jouais pas comme les autres, j’aimais aligner mes jouets, les ranger bien en ordre. J’étais incapable de créer des scénarios, de jouer à la dînette ou de faire semblant, comme si c’était pour de vrai. Au jeu de cache-cache, je ne restais jamais dans ma cachette. Je ne savais que faire avec les poupées, car elles ressemblaient trop aux humains et je ne savais pas inventer des histoires pour jouer. Mon frère jouait aux petites voitures, il imitait leur bruit et creusait des routes dans la terre, et moi, je restais près de lui et prenais les petites voitures dans mes mains, car j’aimais faire tourner leurs roues jusqu’à ce qu’elles s’arrêtent puis les relançais ; j’aimais et j’aime toujours voir les choses qui tournent. Parfois je les alignais sur le sol, j’aimais les voir bien ordrées.
J’ai lu dans les dossiers sur l’autisme que ce comportement est assez typique. De même, lorsque j’étais enfant, j’adorais les toupies, je pouvais regarder longuement les choses qui tournent. J’avais une toupie en bois que j’aimais beaucoup, je la relançais sans cesse. Ma toupie était faite avec un tour de menuisier, cela devait être du bois dur, je pense du bois d’olivier ou peut-être d’abricotier, les veines du bois formaient de magnifiques dessins. Elle était toute lisse, douce au toucher, j’aimais la voir tourbillonner sur mon bureau.Petite fille, lorsque je voyais mes cousins, je jouais souvent autour d’eux dans notre jardin, mais pas avec eux. Je n’étais jamais très à l’aise en compagnie d’autres personnes et je préférais être seule et tranquille. Je ne comprenais pas comment jouer avec les autres, alors je faisais ce qui était le plus simple pour moi, jouer toute seule. Comme je n’ai pas d’amis de longue date et aussi des difficultés avec le côté social de la vie, je me suis créé des amis imaginaires dans ma tête qui me comprennent, qui pensent comme moi, qui me ressemblent et me réconfortent dans les moments plus difficiles.
Mon monde imaginaire est très beau, il est harmonieux et me sécurise. Ce monde est créé dans ma tête à partir de beaux paysages que j’ai vus ou de situations de vie réconfortantes que j’ai vécues. Mon monde, je l’idéalise, car il n’y a pas les difficultés sociales ou autres soucis ordinaires de la vie réelle. Quand je jouais avec mon grand frère, je le regardais jouer et essayais d’imiter un peu ce qu’il faisait, mais pas toujours avec le succès que j’espérais. Maman m’avait offert un petit comptoir comme un magasin et j’aimais aligner et classer les différents paquets dans les étagères. Certains jours, je les classais par couleur, d’autres jours je préférais l’option de les ranger par grandeur ou par forme. Les maîtresses des petites classes d’école essayaient parfois de m’intégrer aux autres élèves dans la cour de récréation.Elles m’encourageaient à jouer avec les autres. Les filles jouaient à l’élastique, deux filles prenaient l’élastique autour de leurs chevilles, elles formaient une très grande boucle qu’elles tendaient. Le but du jeu était de sauter sur les deux élastiques tendus, de les croiser, de faire différentes figures, de mettre un ou deux pieds dessus et de compter les pas. J’étais peu habile en ce temps-là, peu souple, et j’avais de la peine à comprendre les règles et le but de ce jeu, je préférais rester seule dans mon coin. Durant les parties de jeu de cache-cache, je ne savais jamais ce que je devais faire ; lorsqu’il fallait partir se cacher, je ne restais jamais longtemps cachée, car au bout d’un moment je commençais à paniquer, je sortais de ma cachette et, ne voyant personne, je ne savais plus ce qu’il fallait faire. Je restais plantée au milieu de la cour, les autres me trouvaient tout de suite et j’avais perdu. Parfois c’était mon tour de me mettre contre un mur avec la tête dans les bras et de compter jusqu’à 50 en attendant que les autres aillent se cacher. Lorsque j’avais terminé mon décompte, je ne voyais plus personne. J’avais beaucoup de difficultés à me mettre dans la peau des autres et deviner où ils allaient se cacher. Je n’aimais vraiment pas ce jeu................................
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