Autisme Regards Croisés
Sans états d'âmes Par Gérald
Je vais te dire un truc que tu sais déjà. Le soleil, les arcs en ciel, c’est pas le monde ! Y’a de vraies tempêtes, de lourdes épreuves aussi grand et fort que tu sois la vie te mettra a genoux et te laissera comme ça en permanence si tu la laisses faire. Toi, moi, n’importe qui, personne ne frappe aussi fort que la vie, c’est pas d’être un bon cogneur qui compte, l’important c’est de se faire cogner et d’aller quand même de l’avant, c’est de pouvoir encaisser sans jamais, jamais flancher. C’est comme ça qu’on gagne !
Rocky Balboa, Rocky.
Dimanche 13 Juin
Comment allez-vous aujourd’hui Madame La Juge à Lunettes ? Mon histoire vous a-t-elle été plaisante ? J’espère ne pas vous avoir trop importunée avec mes fantasmes. Des fantasmes oui. N’ayons pas peur des mots. Certaines personnes vous diront, car ils trouvent toujours quelque chose à dire, que je ne suis qu’un menteur, que je raconte n’importe quoi, que j’ai perdu pied, que je cherche une excuse, une justification à mon mal être et que je vais la trouver à travers le spectre de l’autisme, en trois mots : je mythonne grave !
Mais est-ce réellement important ce que les autres disent de vous Madame ? Je ne pense pas moi qu’il faille se laisser définir par les autres. Comme vous le constater, d’après mon expérience, je pense que c’est une des plus grosses erreurs que nous puissions commettre. Enfin peu importe, ceci est une autre histoire. Demeurons plutôt concentrés sur celle-ci si vous le voulez bien.
Je vous avoue qu’utiliser le mot « maquiller » hier en fin de journée m’a légèrement contrarié. Nous devons être extrêmement prudents avec les mots. Ils sont un peu comme des patins sur une patinoire (oh la jolie comparaison), ils glissent dans tous les sens. Nous devons faire attention, oui. « Maquiller », ici, ne veut pas dire « manipuler » (ce serait trop simple et trop beau). Mais alors que veut dire ce mot ? Oh oui que veut dire ce mot ?
Commençons par noter ce petit échange que je vais vous retranscrire comme je peux Madame La Juge.
- Je discutais avec mon pote au Canada, tu sais le prof de profilers américains, écrivit-il.
- Ouep, répondis-je.
- Il me racontait que nous étions tous rangés dans des catégories psy. Genre il y a les Alpha c'est-à-dire des personnalités leaders, les mecs relouds et casse-couille quoi. Il y a aussi les Béta, les suiveurs,puis les Carthésiens…
- Tu me mets où toi ? Moi, j’ai vraiment l’impression que ça dépend des occasions. Sûr que je suis pas leader, mais suiveur bon, ça dépend quoi.
- Non mais attend ! T’as raison ! Toi, je te mettrais dans les émo.
- Les petits connes cheveux noirs tatouées percées jupette so sexy ? Je te remercie. Toi t’es un pote.
- Mais non ! Emo pour émotionnel ! T’es le seul type j’arrive jamais à dire ce qu’il va faire. Sérieux parfois tu te tapes de ces trips ! Impossible à suivre ou deviner où tu vas aller.
- Ah oui, mes petites pulsions incontrôlables. Ok, je vois oui.
Vous voyez Madame La Juge ? Faisant suffisamment confiance à mon vieux pote pour avoir poussé la discrimination de façon pragmatique et rationnelle, je n’ai pas exploré ces catégories. Et peu importe d’ailleurs qu’elles existent ou pas, qu’elles soient significatives ou pas, l’idée se suffit ici à elle-même. Lui, un ami de longue date, l’esprit toujours en alerte et à l’affût de la moindre connaissance qui passerait à sa portée, me catégoriserait directement dans la zone « émotionnelle ».
Ceci est très intéressant. Oh oui ceci est très intéressant.
Ceci est très intéressant mais nous avons maintenant un gros et sérieux problème à résoudre Madame La Juge. Aborder le sujet des émotions et de leur grande amie l’empathie chez l’autiste va pour moi s’avérer des plus compliqués. Ou des plus simples puisque il est de notoriété publique que… L’autiste n’en a pas ! Hop, c’est réglé ! Sujet suivant !
Toutes mes excuses Madame La Juge à Lunettes, je suis confus. Je me moque de vous. Je tente encore de faire de l’humour alors qu’il est également de notoriété publique que l’autiste… N’en a pas non plus ! Sujet suivant ! Oups… Toutes mes excuses encore de nouveau encore.
Ceci dit nous aurions presque pu en rire (bon nous en rions quand même hein, mais pas trop fort ils risquent de se vexer) si ce genre de croyances n’était pas encore ancrée (et c’est plutôt de l’ancre de paquebot vous voyez ! Le genre qu’est pas prête de bouger si on l’aide pas très fort) dans l’esprit de nombreuses personnes. Mais pourquoi une telle croyance ?
Cette magnifique légende urbaine viendrait, après enquête auprès des experts concernés, du fait de l’absence de réaction émotionnelle de la part des autistes face à différentes situations auxquels le commun des mortels ne peut s’empêcher de répondre « oh c’est horrible ! » ou « oh le pauvre ! » (avant de tourner les pieds et d’aller s’acheter un kébab ou tromper sa femme).
« Les autistes n’ont pas d’émotions ». Comme d’habitude, c’est une récurrence chez moi (décap’ four ?), je ne comprends pas (mais non, pas mon association d’idée débile). Non, je vous assure que je ne comprends pas comment quelqu’un peut penser de cette façon. Nous sommes pourtant de nos jours habitués par le biais d’internet et de la télévision à constater d’énormes étrangetés (comme croire qu’il puisse exister un libéralisme humaniste par exemple) en ce qui concerne la pensée mais là, je ne comprends pas. Que serait un être humain sans émotion et sans empathie ? Un être vide. Un regard fixe. Une espèce de machine de muscles et de peau qui ne bougerait que pour accomplir ce qu’elle doit accomplir et devant laquelle il vaudrait mieux ne pas se mettre car elle pourrait bien nous tuer sans même y prêter attention.
Cette description correspond-elle à votre petit voisin autiste Madame La Juge ?
Si nous revenons à la fameuse image populaire de notre autiste, (elle me manquait pas celle-là mais bon…) que se passe-t-il lorsque nous contrarions pour une raison ou une autre, le plus souvent bien mystérieuse je vous l’accorde, cet autiste, qu’il commence à taper sa crise et vouloir défoncer les murs avec sa tête ? Que se passe-t-il mais surtout que quelqu’un me dise, si ce ne sont pas des émotions, qu’est-ce que c’est ? Non vraiment, je ne sais pas. Si ce ne sont pas des émotions, qu’est-ce que c’est ? Je ne sais pas moi, de l’électricité ? De la possession démoniaque ? Il doit bien y avoir quelque chose... Des extra-terrestres peut-être ?
Donc finalement, en y réfléchissant huit secondes et demie (pour les plus lents) il suffirait de s’asseoir tranquillement sur une chaise, d’ouvrir les yeux (très importante cette étape : ouvrir les yeux) et de regarder un autiste évoluer dans son milieu naturel (le même monde que tout le
monde) pour constater l’évidence : comme tout être humain plutôt pas trop mal foutus, les autistes ont des émotions (Alléluïa mes sœurs ! Alléluïa mes frères !).
Simplement, en comparaison à une certaine norme, celle de la majorité, leur venue sera la plupart du temps inappropriée et plus ou moins gérable. D’intensité trop forte ou trop basse, inexistantes, totalement dissimulées, inter ou introverties, en totale inadéquation avec l’environnement immédiat, elles seront également bien souvent non identifiables et non identifiées par l’autiste lui-même qui en conséquence de quoi, plutôt que de se laisser envahir et submergé, préférera s’il en a la possibilité psychologique, c'est-à-dire les moyens, les outils, tenter de prendre le contrôle absolu de la machine afin de les enfouir dans le plus profond profond profond trou de son être en oubliant que quelle que soit la taille du trou dont il dispose, il finira comme tout les autres trous du monde, c'est-à dire par se remplir et déborder, et là... Bien entendu, comme nous ne sommes pas tous égaux et ne disposons pas tous de la même trousse à outils (ni du même trou) certains y arrivent mieux que d’autres. Et c’est pour cette raison qu’il n’est pas vraiment exceptionnel à mon sens de tomber sur deux autistes dont la gestion des émotions sera très différente et de se dire le genre de billevesées que nous entendons à longueur de journée : « j’ai vu un autiste un jour et toi tu lui ressembles pas du tout », « tu as des émotions donc tu n’es pas autiste », « tu te tapes la tête contre les murs ? » « J’ai vu un autiste et… ». Dans la tête des gens, un autiste est égal à tous les autistes alors que, pas vraiment non... C’est un peu comme si nous disions, un blond est égal à tous les blonds (oui je sais pour le blond c’est beaucoup plus vrai…).
Prenons une émotion de base comme le rire par exemple. Quelqu’un nous raconte une blague ou une anecdote, quelque chose de drôle. Il n’y a personne d’autres que cette personne et nous et donc aucune interférence dans la relation. Cette personne termine son quelque chose de drôle par un gros éclat de rire tandis que nous, nous demeurons là, le regard hagard, stoïque, en nous demandant : « mais pourquoi rigole-t-elle ? Quel étrange phénomène ! ». Je suis prêt à parier que la prochaine fois que cette personne aura envie de raconter quelque chose de drôle, il serait étonnant que se soit vers nous qu’elle se tourne. En groupe, l’affaire est bien plus difficile car vous pouvez être certains que quelqu’un aura remarqué que vous n’avez pas esquissé le moindre sourire et ne se privera pas pour partager sa remarque.
Voilà de quelle façon et sans même nous en rendre compte, nous nous faisons insidieusement éjecter d’un environnement social de type scolaire, associatif ou professionnel.
Ce n’est pourtant pas bien compliqué. Tout le monde sait faire semblant de rire à une « blague pas drôle », ou par une quelconque autre technique détourner le tout. C’est même une des bases du comportement neurotypique. Moi non. Je ne sais pas. Je n’y arrive pas et n’y suis jamais arrivé. Je sais ce qu’il faut faire, j’ai bien vu, mais non. Je demeure complètement bloqué. Au mieux, puisque j’ai appris, il se peut qu’apparaisse un léger sourire accompagné d’un regard fuyant et gêné, mais guère plus (la seule autre technique que je maîtrise parfaitement et qui parfois fonctionne est celle du sourire idiot et naïf, mais bon, uniquement parce que je suis idiot et naïf. Ce n’est jamais sur commande donc guère plus efficace...). Ou ce quelque chose de drôle me fait rire et je ris, ou il ne me fait pas rire et je prie pour que personne ne s’en aperçoive et que l’on passe à autre chose avant de me faire insulter. (Tu pourrais faire semblant de rire au moins quand même ! Ce que tu peux être froid et hautain !)(Euh non excuse, c’est juste que t’es pas drôle et que je sais pas mentir hihi (mais bien sûr je ne peux pas le dire ça…))(sur ce, s’ensuit une nouvelle émotion qui peut aller de la colère contre eux au total dégoût de soi, toujours dans le plus grand silence)(et ainsi de suite).
Pour certains, ne pas rire au bon moment n’est pas très grave. C’est vrai ! Cela arrive à presque tout le monde au moins une fois (ou deux) dans sa vie. Pour l’autiste en revanche le problème est quotidien (quotidien du genre « tous les jours » hein. Non je précise parce que… Bref…). Nous devons constamment rester sur nos gardes, demeurer vigilant, alerte et prêt à fuir devant l’assaut de la funeste blague du type « pas drôle du tout » mais capable de te pourrir le taf de six mois d’insertion sociale en trois secondes et demie. Mais bon, aucun problème ! Ce n’est pas très grave. Ils diront juste que t’es qu’un gros con pédant et orgueilleux (variante : torturé et dépressif), puis finiront par te virer de leur groupe d’une façon ou d’une autre. Ce n’est pas très grave. Par contre ne pas pleurer au bon moment, là, ça devient plus compliqué. Croyez-moi Madame La Juge, ce n’est plus du tout le même statut. Imaginons que la même personne ne raconte pas quelque chose de drôle mais le décès et les funérailles de sa mère, tandis que vous, vous avez exactement la même réaction que précédemment. « Sa mère est morte. Bon. Ok. Mais tout le monde meurt non ? Pourquoi en fait-il toute une histoire ? Pourquoi pleure-t-il ? Il a toujours pas compris à cinquante-cinq ans que les gens finissaient toujours par mourir ? Et puis je la connaissais même pas… Il est vraiment bizarre lui ! ».
C’est précisément à ce moment-là que l’autiste passe du statut de gros con hautain et orgueilleux à celui de monstre sanguinaire féroce et méchant qui mange les petits enfants à la nuit tombée ! C'est-à-dire lorsqu’il n’a absolument aucune empathie face à la tristesse, la douleur, la souffrance, et tous ces trucs et bidules qui font tellement de la peine et de les larmes dans le cœur des gens.
L’empathie est la capacité de se mettre à la place de l’autre et de ressentir, sa peine, sa joie et ainsi de suite. Or, que faut-il, quel est le premier ingrédient d’une bonne relation empathique ? Bien vu Madame la Juge. L’émotion ! Une émotion oui mais une émotion identifiée ! Ce que l’autiste ne parvient que difficilement à faire naturellement je le rappelle. Identifier ses émotions.
Alors que se passe-t-il chez moi et chez d’autres, mais pas forcément de cette façon chez tous les autistes ? Nos émotions ne se déclenchent ni au même moment et ni pour les mêmes raisons que celles des personnes dites normales, et pas forcément avec la bonne intensité non plus. Par exemple, me parler alors que je réfléchis m’agace très fort (ça me transperce les oreilles et me fait mal au cerveau !)(et comme je réfléchis très souvent… s’il te plait me parle pas !). Hélas, les gens aiment ça, eux, se parler tout le temps.
- Oh t’as vu il pleut.
- Y a plus de gruyère.
- Il faut… (liste inépuisable jusqu’à l’infini et plus encore)
Ainsi, lorsqu’au bout de cinq minutes je pète mon boulon bien tranquille, personne ne comprend pourquoi. (beh qu’est-ce qu’il a lui ?)(Eh tu serais pas un peu bipolaire toi ?). Il suffit que le téléphone sonne pour qu’une angoisse monte et que je me mette à crier « NE REPONDEZ PAS ! ». (Oui parce que le jeu préféré de la maison est de se mettre à courir pour être le premier à répondre au téléphone quand il sonne)(le truc de cinglés quoi ! Comme s’il n’avait pas parlé à quelqu’un depuis huit jours !) Un imprévu dans mon emploi du temps et c’est la perturbation garantie de mes humeurs. Un type qui m’insulte au volant de sa voiture et je suis mort de rire. Il n’y a vraiment que face à une secrétaire administrative que nos émotions semblent (pas certain) être similaire : l’envie de tuer (et si possible de faire très mal !)
Il y a quelques temps de cela, lors de ma thérapie, ma psy me demandait : « cite-moi des émotions ? ». Après une ou deux minutes de réflexion passé à tenter de combattre le bug qui voulait prendre possession de moi, je lui répondais : « colère, joie, tristesse ». Voilà. Je disposais à cette époque de trois émotions. (Super simple pour gérer une situation sociale hein ?). Ce que nous pouvons appeler les émotions de bases. Il ne s’agissait nullement de refoulement psychologique, du moins pas plus que n’importe qui. Les émotions, les nuances, étaient là, pour la plupart, comme tout le monde, seulement, impossible de les reconnaître, de les nommer donc comment les utiliser ? Si l’on te dit « passe moi un marteau » mais que personne ne t’a jamais montré ou expliquer un marteau, il y a de grande chance que tu ramènes un tournevis ? (Note pour demain : créer un concours de comparaisons)
A partir de là, nous n’avons plus du tout le même référentiel émotif. Nous ne comprenons pas pourquoi vous pleurez ou vous énervez pour des choses qui, pour une raison ou une autre, nous laissent totalement indifférents, et inversement. La différence est que si nous, nous voulons survivre socialement, nous devons réussir à les comprendre.
Mon grand-père a passé deux ans à mourir d’un cancer du colon. Nous n’étions plus vraiment en relation. Nous nous étions un peu fâché, mais réconcilié sur le tard. Hélas si tu ne m’appelles pas ou ne viens pas me voir, il y a très peu de chance d’avoir une quelconque relation avec moi. Bon, il est mort. Beh c’est bien. Je ne suis jamais allé le voir, ni à l’hôpital, ni à l’enterrement ni rien. Ils m’ont promis des regrets, je les attends toujours. Dès lors comment veux-tu que j’exprime le moindre sentiment empathique lorsque tu me racontes les funérailles de ta mère ? Impossible pour moi. C’est le vide absolu. Et je ne sais absolument pas quoi faire. Alors que les gens eux savent toujours quoi faire, même s’ils m’ont pas l’air
d’être peiné plus que cela, ils adoptent toujours une posture qui est apparemment reçue et validée comme empathique par leur interlocuteur. Un mystère pour moi. N’ayant jamais perdu ma mère, n’ayant rien ressenti pour le décès de mon grand-père, je suis incapable de faire appel à cette émotion, et par conséquent de proposer une émotion empathique d’un niveau suffisant à mon interlocuteur.
C’est lorsque nous ne savons pas faire ou que nous n’avons pas appris à faire qu’intervient le maquillage. Il ne s’agit pas de manipuler les gens mais de se maquiller soi-même, de se cacher, pour que personne ne s’aperçoive du monstre qui est en nous. Nous le faisons grâce à notre super cerveau trop puissant sa race qui déchire. Tu souris=je souris. Tu es triste=je suis triste, (ou du moins j’essaie de ne pas rire). Tu pleures=je te prends dans mes bras. T’es content de me voir=j’exulte de joie et de bonheur en sautillant sur place. Ah j’en ai des tonnes des comportements débiles, je vous préviens Madame la Juge. Tout ceci est un travail qui se réalise inconsciemment au fil des années. Si nous repérons chez quelqu’un une posture, une position corporelle, un style de langage socialement admis, nous intervenons dans le processus, c'est-à-dire que nous l’intellectualisons, ou nous nous scotchons à la personne qui va dès lors nous servir de référence, une personne qui bien souvent sera aimée socialement des autres, sera une sorte de référence sociale et là, nous tenterons non pas de l’imiter mais d’incorporer ses postures, ses postures qui vont de l’utilisation de son corps, (j’ai marché deux ans la tête penchée comme Georges Clooney dans Urgences parce que je trouvais et tout le monde disait qu’il avait trop la classe), à son vocabulaire, ses tics de langage et bien entendu ses réactions émotionnelles, pour nous en resservir plus tard dans une situation que nous estimerons similaire (mais qui hélas ne le saura jamais totalement). Et c’est seulement lorsque nous en aurons terminé avec cette captation que notre modèle sera jeté comme la plus pourrie de nos chaussettes sur le bord du chemin dont il ne bougera plus jamais.
C’est pour cette raison que j’ai de nombreuses fois au cours de ma carrière été catalogué entre autre chose de suiveur ou de personne influençable.
Je me souviens en quatrième ou troisième avoir été traité de « petit toutou » de Thomas C. (un joyeux luron qui avait rejoint notre posse (bande) et avec lequel nous faisions les huit cents coups) par les plus jolies filles du collège (je l’avais extrêmement bien vécu). Nous partagions les mêmes délires, seulement il était plus beau, plus de charme comme elles disent (même si elles ne sont pas foutues d’expliquer ce mot… Le charme c’est…), plus loquace, plus drôle, etc. Comprenez aujourd’hui Madame La Juge que je ne l’ai jamais été. Je bosse moi ! Et c’est tout ! Et lorsque j’en ai fini je trace. Et c’est tout !
Ma psy au cours d’un des entretiens m’avait fait la remarque que j’étais une des personnes les plus libres qu’elle avait rencontré. Je n’ai jamais réussi à percer le mystère de cette réflexion. Se foutait-elle de moi ? Etait-elle ironique ? Libre oui, car je vais et je viens à ma guise. Mais je demeure totalement prisonnier de ce fonctionnement, de ces schémas, et bien entendu, totalement prisonnier de mon autisme.
Prisonnier oui. Prisonnier de mes schémas, prisonnier de mes modélisations.
Oui mais alors, après plus de trente ans de pratique tu devrais t’en sortir. Pourquoi cela ne fonctionne pas ? Imaginez-vous Madame La Juge passer trente ans à enregistrer des mots, des mouvements, des intonations, dans le disque dur qu’est votre cerveau. Je possède des milliers de dialogues et autres comportements de centaines de films là-haut, ainsi que de personnes que j’ai pu fréquenter, et cela ne fonctionne pas. Un petit peu, mais pas suffisamment. Tout simplement parce que la relation sociale demande, impose la spontanéité. La plupart du temps mais pas toujours, mon inconscient doit faire le tri et malgré son excellente vitesse de calcul… Il est déjà trop tard. Voilà de quelle façon j’explique la chose. Aujourd’hui ma tête est pleine, pleine a craquer. Je n’ai plus de place pour enregistrer. Je suis extrêmement fatigué et tout ceci ne sert à rien. Et puis qui a dit que la vie ressemblait à un blockbuster américain ?
Pour autant, lorsque je ne dois pas réaliser au préalable un effort d’intellectualisation pour proposer une émotion, j’ai bel et bien des émotions. Voir des forceps entrer dans ma femme me fait manquer de m’évanouir mais la voir pleurer me laisse totalement de marbre (tape sur le dos c’est bon ça va mieux ok merci !). Voir un enfant se prendre une fessée dans un magasin m’insupporte au plus haut point mais le voir tomber dans la rue ne me fait pas le moindre effet (chez les gens il semblerait que se soit l’inverse). Les histoires d’amour des gens, leur petite vie, me laisse froid tendance congelé alors que j’ai passé une heure et quart à pleurer à chaudes larmes devant Moulin Rouge (come what may !). Et ainsi de suite.
Maquiller, repérer, comparer, analyser, reproduire, imiter pour proposer à nos interlocuteurs la réaction émotionnelle qui sera en totale adéquation avec le sens de la vie, forme notre trousse à outils, forme les outils et les techniques qui nous permettent parfois de donner le change lorsque nous ne parvenons pas à répondre de façon empathique. Cela marche un temps, un temps seulement, parce que c’est de la folie à l’intérieur au bout de vingt ans. De toujours être sur ses gardes, de toujours avoir peur. Et puis c’est tellement fatiguant, épuisant.
Les solutions, quel que soit le problème autistique dont on parle, passe par l’apprentissage. L’apprentissage oui. Alors je sais… Au rang des grosses conneries que prononcent chaque jour les « bien pensant », l’autiste n’est pas en mesure d’apprendre quoi que ce soit. Ce n’est pas plus vrai que le reste puisque la plupart des choses que vous faites normalement, nous, nous devons les apprendre, nous devons les apprendre comme on peut (on se démerde quoi !)(mais ne soyez ni peiné ni culpabilisé, on s’en tape on en a l’habitude). Nous pouvons aussi nous accepter tel que nous sommes et se contenter d’être ce que nous sommes. C’est finalement l’option que j’ai choisie. Car à bien y regarder… Ils ont beaux être plein d’émotions et plein de cette fameuse empathie, nous sommes bien loin du joyeux monde des Bisounours. Je n’ai plus aucune envie de leur ressembler.
Nous avons des émotions, seulement leurs fonctionnement ne correspond à aucun schéma standard et tout ceci provoque des comportements inhabituels, donc des réactions inhabituelles. Et forcement, nous en revenons toujours au même : de l’angoisse. L’angoisse de ne pas fournir la réponse appropriée, l’angoisse de blesser notre interlocuteur, l’angoisse de devenir la risée de tout le monde, l’angoisse d’être insulté ou plus encore, et finalement l’angoisse que le monstre qui est en nous soit découvert.
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