top of page

Les difficultés d'une enseignante asperger

 

Je pense que pour quiconque le travail n'est pas toujours facile.

 

Parfois lorsqu'on est autiste, ça peut être encore plus difficile pour des raisons diverses.

 

Outre le cap de l'entretien, qui, pour certains, est un combat en soi, les difficultés sensorielles et sociales des personnes autistes peuvent être des obstacles importants dans le travail.

 

Je ne vais pas parler de tous les autistes car nous sommes tous différents mais je vais vous parler de certaines difficultés que je peux rencontrer dans mon travail, en tant que personne asperger.

 

 

Je suis professeur des écoles et actuellement enseignante spécialisée en SEGPA.

J'aime ce que je fais mais cela m'épuise et me laisse souvent insatisfaite.

 

           Parenthèse:

Avant de parler de cela, je veux juste noter que si les enfants autistes, malgré de beaux textes de lois, sont souvent évincés de l'école ordinaire, les adultes autistes ne semblent, eux non plus, pas avoir leur place au sein de l'éducation nationale, comme en témoigne l'article suivant, issu du ministère de l'éducation nationale:

voir l'article

Personnellement, je trouve ce genre d'article plutôt honteux... A l'heure ou beaucoup d'entreprises sont capables de trouver des solutions pour intégrer des personnes en situations de handicap (et trouvent bien souvent beaucoup de bénéfices à cela), l'Etat, lui, ne voudrait pas s'encombrer de devoir faire des adaptations...

Triste réalité...

        Fin de la parenthèse

 

 

J'ai choisi l'enseignement spécialisé en collège pour différentes raisons.

Tout d'abord, parce que même si je n'ai jamais eu de difficultés scolaires, je me sentais plus proches des élèves 'différents' (avant même mon diagnostic).

Ensuite, parce que même si les adolescents ne sont pas toujours faciles à gérer, ils sont un peu plus autonomes (en outre, les élèves de segpa sont plutôt francs je crois).

Aussi parce que les horaires de cours dans un collège sont un peu différents ; pendant la récréation je peux me ressourcer seule dans ma classe.

Enfin, parce que les groupes classes y sont plus réduits (30 élèves dans une classe, ça me perd vraiment...).

 

Même si il y a moins d'élèves dans les classes, entre 11 et 16 , ça reste énorme pour moi...

Tout d'abord, quinze élèves dans une classe (dont une partie 'décrocheurs scolaires') , cela demande une attention incroyable, une certaine autorité et ils font de plus beaucoup de bruits: alors que certains bavardent (à un endroit, puis un autre, puis à plusieurs endroits simultanément), un élève joue avec son stylo, un autre fouille dans sa trousse, un troisième fouille dans son sac, un quatrième chiffonne une feuille, un autre fait rebondir sa gomme sur sa table, son voisin bouge sa chaise, celui de derrière l'interpèle, celui de devant lui fait une blague etc. J'ai l'impression que tous ces bruits m'arrivent sur le même plan et finissent par me rendre folle (Il y a un film d'animation très bien fait à mon sens sur la perception sonore des autistes, cela ne se passe pas en classe mais est très représentatif de la surcharge que représente l'arrivée de différents bruits à nos oreilles...voir ci-dessous).

A coté de cela, il y a les élèves qui essayent de suivre et qui vont poser des questions (sans lever la main parfois et de temps en temps simultanément); ceux qui pensent à autre chose et qui vont nous poser des questions sur quelque chose qui n' a rien à voir ; ceux qui n'en ont rien à faire de rien pour qui il est difficle de trouver les leviers de motivation ; ceux qui veulent attirer l'attention et qui vont le faire en perturbant la classe ; ceux qui me demandent l'autorisation d'éteindre leur portable, ce que j'accepte sans me douter que c'est en fait une stratégie pour se servir de son portable en classe d'une façon ou d'une autre (je l'ai découvert pus tard, lorsqu'un collègue m'a dit que sur la page facebook d'une élève, il y avait une photo prise pendant le cours...pas de moi, mais dans ma classe tout de même... et oui, ma naïveté est aussi très compliquée à gérer dans mon métier ), ceux qui s'insultent etc.

J'ai énormément de mal à gérer tout cela... Il y a beaucoup trop d'informations. Là encore, tout m'arrive sur le même plan ; j'ai beaucoup de mal à établir les priorités. De plus, cette surcharge d'informations me perd totalement dans le cours que j'essaie péniblement de mener.

J'ai l'impression d'être comme un ordinateur à qui on a demandé trop de tâches en même temps et qui finalement n'arrive rien à faire et « bugge ».

 

Je bugge... Et tout comme l'ordinateur, je dois recommencer la tâche à zéro.

Comme je suis perdue, je dois reprendre, ce qui arrive souvent...Les élèves qui tentaient de suivre deviennent inattentifs comme je vais me répéter, et se perdent eux aussi, faisant du bruit à leur tour. Je finis sans avoir pu faire ce que je souhaitais, me sentant assez nulle de ce fait et je finis surtout totalement épuisée par tout cela... Parfois, je me sens mauvaise dans ce que je fais car je n'arrive pas à programmer des choses que j'aimerais, par exemple du travail en groupe, parce que j'ai trop peur de l'agitation/du bruit que cela générera et de ma réaction face à cela.

 

Je n'ai pas de pause entre deux cours et dois enchainer ensuite sur l'heure suivante, espérant qu'elle sera moins douloureuse. ( Pour garder mon courage, j'essaie de voir les choses positives: certains cours plus calmes, où les interactions sont moindres et pendant lesquels j'arrive à avancer davantage et suivre ma ligne directrice, la motivation de certains, les retours positifs lorsqu'on voit que les élèves comprennent certaines notions, se rappellent d'un précédent cours.)

 

Aussi, lorsque je suis dans une telle surcharge d'informations, mon ton a tendance à monter et les élèves ne comprennent pas forcément la raison. Je leur dis que je suis très sensible au bruit. De manière générale, mes élèves sont gentils, mais ils ne peuvent pas se rendre compte de l'effet de tout cela sur moi.

 

 

Entre le bruit à gérer, les interactions des élèves et leurs demandes, autant dire qu'en fin de journée et à fortiori à la fin des 23h de la semaine, je suis bonne à être 'ramassée à la petite cuillère' ; je ne suis plus capable de rien du tout... Mais je dois revoir ma programmation pour le lendemain, préparer mes cours de manière détaillée et en parant aux 'imprévus' que j'essaie justement de prévoir … Même si je prends toujours de l'avance dans mes préparations, j'y passe beaucoup de temps temps, week-ends compris.

 

 

Le jour de la passation de mon diplôme d'enseignante spécialisée, les élèves ont été très calmes. En effet, même si mes élèves bougent beaucoup, même s'ils se moquent parfois de moi et profitent de ma naïveté, je crois qu'ils m'apprécient quand même (ils m'ont dit qu'ils souhaitaient que j'aie mon diplôme car ils m'aimaient bien...) certainement car j'ai un regard positif sur eux (je ne pense pas qu'ils soient moins intelligents parce qu'ils sont en segpa et je leur dis). En outre, je crois qu'ils voient que je fais le maximum pour leur apporter de l'aide, même si ça ne fonctionne pas toujours comme je l'aimerais... Alors le jour de mon diplôme, ils se sont tenus de manière exemplaire. Le jury a noté ma très grande quantité de travail et ma qualité d'analyse. Il a également trouvé que je 'cadrais', peut-être un peu trop les choses... (comme c'est bizarre pour une asperger...). Mais le jury n'a vu que la partie émergée de l'iceberg...

 

 

Les interactions avec les autres professeurs est aussi un point qui peut ne pas être facile à gérer. Au début, je me rendais en salle des professeurs pour voir mes collègues de SEGPA, et avoir des conseils (ils sont très peu et je communique bien avec eux au sujet du travail). Maintenant, je suis un peu plus autonome et je ne me rends presque plus en salle des professeurs, notamment parce que celle-ci est très bruyante et parce que j'ai de plus du mal à interagir. Lorsqu'on parle du travail, ça va, même si je peux avoir du mal à m'intégrer/m'imposer dans les conversations malgré tout, mais dans d'autres cas, je reste muette, je n'ai rien à dire... Ainsi, je ne vais pas non plus aux repas entre professeurs... Je ne suis pas la seule donc peut-être que ça passe inaperçu ou peut-être suis-je critiquée... Je ne sais pas... Peu m'importe... De toutes façons, je n'en ai générallement pas l'envie et même si j'en avais l'envie, je suis trop fatiguée le soir pour faire une repas avec d'autres.

 

Le rapport aux parents n'est pas toujours facile lui non plus... Je déteste téléphoner. La première raison c'est que je comprends mal si les gens articulent mal et au téléphone, c'est pire. Sans rentrer dans le détail, je crois que les difficultés de communication des autistes peuvent être accentuées au téléphone. Heureusement, ce sont parfois mes collègues qui le font pour moi. Lorsque je dois le faire, je ne m'en sors pas si mal, mais c'est à chaque fois une épreuve... Quant aux rdv, je me fais épauler par ma collègue assez souvent et/ou je suis parfois accompagnée par le directeur de la SEGPA, ce qui a un côté rassurant. Cela dit, les rdv se sont toujours bien passés, d'autant que je suis quelqu'un de concret donc cela permet de rendre le rdv efficace la plupart du temps.

 

Enfin, un dernier point difficile pour moi, c'est le fonctionnement de l'institution "éducation nationale" et sa logique de chiffres, remplie d'incohérences et se fichant de tout humain qu'il y a derrière, que ce soit professeur ou élève... L'éducation nationale fait de beaux textes mais ne met rien en oeuvre sur le terrain pour les appliquer. L'éducation nationale 'place' les professeurs tout comme les élèves, où bon lui semble, même si ce n'est pas la place appropriée, même si derrière cela il y a des personnes en souffrance; peu importe tant que les trous sont bouchés et leurs statistiques correspondant à leurs attentes. On demande d'évaluer les élèves en cochant une multitude de cases dont les contenus sont très vagues en nous obligeant à la fin d'avoir validé 80% des items à 80 % des élèves. Si les statistiques ne sont pas bonnes, on ne remet pas en cause le système mais les enseignants. On demande aux enseignants d'avoir de beaux papiers administratifs bien remplis; ceci semble plus important aux yeux de l'institution que notre combat quotidien pour essayer d'aider aux mieux les élèves. Pour paraitre bien aux yeux de l'éducation nationale, j'ai l'impression qu'il faut être doué en administratif et en "faire-semblant"... Certains professeurs, aussi laxistes soient-ils, s'en sortent avec cela, et au final, ce sont rarement les personnes les plus impliquées et les plus honnêtes qui sont valorisées... Il y aurait énormément à dire sur l'EN, mais ce n'est pas le propos de cet article, alors je m'arrête là.

 

 

Voici donc la face cachée de mon travail d'enseignante..., qui me passionne d'un côté (essayer de faire progresser un élève, trouver ses points d'accroches etc) , mais qui reste bien difficile (par tous les côtés que je viens de citer), trop difficile pour la fragilité que je cache... J'essaie de tenir bon, mais c'est si dur...

Alors j'aimerais trouver autre chose... Cours particuliers (cela me conviendrait beaucoup mieux c'est certain)? Cours au CNED? Changement de voie (sachant que j'aimerai rester dans le domaine du handicap, voire me spécialiser dans l'autisme)? Je ne sais pas de quoi mon avenir sera fait mais je suis assez inquiète...

 

 

NB, il paraît que l'enseignement est une des professions les plus représentée chez les personnes aspergers. Voici un autre article, écrit par une amie, Magali,  enseigante et asperger également. Je m'étais aussi beaucoup retrouvée dans son écrit...

 

Ci dessous, la vidéo "Sensory issues" sur les perceptions sonores d'une personne autiste, réalisée par Miguel Jiron, à retrouver sur le site de Interacting with autism.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par Weirda

bottom of page