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De la difficulté de lier et maintenir le contact

 

 

Dans l'enfance

 

Petite, je m'étais demandée pourquoi à l'école on n'apprenait pas certaines choses complexes comme le fait de se faire des amis... Je me demandais comment s'y prendre pour engager la conversation avec quelqu'un ou encore, comment regarder l'autre quand on discute avec lui.

 

Pourquoi tous les autres semblaient parvenir à cela aussi naturellement que ce soit alors que de mon côté, tout semblait si compliqué... J'avais fini par me convaincre que cela devait être une vue de l'esprit; peut-être que mon malaise n'était pas si flagrant et peut-être que tout le monde se posaient ces questions, et faisaient avec... Il fallait donc que je fasse des efforts...

 

Ainsi, j'ai réussi à « sauver les apparences » mais non sans difficultés...

 

J'ai toujours habité dans mon village de campagne et j'ai toujours été dans une petite école privée en ville.

Dans mon village, j'avais une voisine que je voyais très régulièrement (et une autre que je voyais de temps en temps). Tous les mercredis après-midi, lorsque la cloche de l'église sonnait les 14h, je décrochais le téléphone et appelait chez elle en prononçant toujours la même phrase : « Bonjour, c'est A., est-ce qu'Emilie peut jouer ? ». Je n'ai jamais été à l'aise pour téléphoner. Cette phrase avait du m'être suggérée par ma mère un jour, je l'ai utilisée toujours... Et chaque mercredi après-midi, de 14h à 18h, nous nous retrouvions, chez elle ou chez moi. Soit le temps était acceptable pour jouer dehors et nous faisions de la balançoire (j'adorais me balancer et tourner), des élevages d'escargots (j'étais fascinée par les animaux), nous grimpions dans les arbres (j'aimais être en hauteur) etc... Sinon nous restions dedans et dans ce cas nous faisions plutôt des jeux de société (brainstorm, petit bac, petits chevaux …). J'ai le souvenir que nous jouions parfois aux jeux vidéos car elle avait une console. On jouait chacune notre tour mais je perdais toujours en l'espace de 20 secondes (j’avais de grosses difficultés à jouer aux jeux et faisais tous les mouvements en même temps que le personnage du jeu...) ; par conséquent, je ne jouais pas vraiment mais je la regardais jouer. Mon amie avait une très belle écriture que j'admirais beaucoup... J'aurais aimé écrire comme elle... Je m'appliquais beaucoup mais avoir une écriture régulière m'a demandé énormément d'efforts (et m'en demande toujours!)... Lors de mes premières embauches, je traçais encore les lignes de mes lettres de motivation au crayon à papier afin d’écrire droit... Par la suite, l'ordinateur a fait cela pour moi !

Emilie était donc mon point d'ancrage dans le village.

 

A l'école, je n'ai pas le souvenir d'avoir été particulièrement rejetée (d'ailleurs, j'ai parfois été invitée à des anniversaires), mais j'ai le souvenir d'avoir eu des difficultés à être proche des autres. Lorsque les élèves sortaient en récréation, ils trouvaient des jeux, parfois collectifs ; des groupes d'enfants se formaient et se déformaient ; et moi, j'étais un peu extérieure à tout cela. J'observais ces scènes qui se déroulaient sous mes yeux sans forcément parvenir à y prendre part... Je pensais que je devais être bien bête pour ne pas parvenir à faire ce qui semblait naturel pour tout le monde... Et c'est toujours le même type de questionnements qui me venait en tête: est- ce que pour les autres cela était aussi difficile? (ça ne semblait pas du tout) Quel était le problème chez moi pour que ces situations soient si difficile pour moi...? Avais-je un problème mental...?

Ma première copine, à la maternelle, a été celle qui sera qualifiée plus tard « d'intello » et de « chouchou » des profs. Puis, au début du primaire, je me fis une autre copine qui était la seule élève d'origine étrangère. Et enfin, pendant le reste du primaire, je me suis faite une « meilleure amie », Eloïse, qui n'était pas forcément appréciée de tous... Ainsi, dès toute petite, les amies les plus proches que j'ai pu me faire à l'école faisaient en quelques sorte partie des 'minorités marginales'...

 

L'adolescence

 

Passage au collège... Mes frères avaient continué leur scolarité dans cette école privée. Moi, j’avais enfin Eloïse comme repère et il était inimaginable pour moi de m'en séparer. Eloïse changeait d'école pour aller dans un collège public, plus proche de chez elle, en prenant allemand en première langue. Ainsi, je demandais à mes parents de prendre allemand en première langue, seule solution pour que je puisse rester avec Eloïse.

L'arrivée au collège a été très dure... Tout d'abord, nous ne nous sommes pas retrouvées dans la même classe avec Eloïse. Si elle n'a apparemment pas eu de mal à vivre la chose et s'est rapidement faite de nouveaux amis, il n'en a pas été de même pour moi. J'ai tenté tant bien que mal de sympathiser avec une camarade de ma classe qui venait de la même école que moi, sans grand succès. Le collège était un calvaire. La cours de récréation était immense. Ma mère commençait tôt le travail et me déposait à 7h30 au collège. Je devais attendre seule jusqu'à 8h. Au départ ça allait car il n'y avait personne dans la cour, mais cette dernière se remplissait petit à petit et devenait de plus en plus anxiogène... Qu'est-ce que j'ai pu attendre le retentissement des sonneries... Les récréations étaient un calvaire et me semblaient interminables. A l'école primaire, parfois la maitresse m'autorisait à rester en classe pendant les récréations. Inutile de songer à cela au collège... J'allais aux toilettes ; cela me permettait d'avoir quelques instants tranquilles. Mais je ne pouvais pas y rester enfermée ; j'avais bien conscience que cela aurait paru louche... De plus, les toilettes étaient parfois un lieu de rassemblement de personnes ce qui me mettait bien mal à l'aise...Je ressortais, marchant dans la cour en essayant de trouver quelqu'un de ma connaissance, pas parce que je m'ennuyais, mais parce que j'avais compris qu'il n'était pas forcément bien vu de rester seule... Le temps de midi était plus supportable (en faisant abstraction du temps de repas qui était à nouveau un calvaire sensoriel et social) car le collège nous permettait d'aller en étude. Lieu refuge pour moi. C'était calme ; je pouvais m'avancer sur mes devoirs et en ce lieu, j'avais l'impression que ma solitude pouvait passer plus inaperçue.

En 5e, changement de classe, et je rencontre Alexandra. Alexandra sera ma bouée de sauvetage pour le reste du collège. Nous nous sommes trouvées par rapport à notre passion commune qui était « les animaux ». Nous souhaitions toutes deux devenir vétérinaires et elle me permit d'accéder à plein de choses que je n’aurais pu faire sans la rencontrer. Elle et sa maman firent des démarches pour que l'on soit bénévoles à la SPA, puis pour qu'on aille en stage chez un vétérinaire pendant les vacances. Ce furent des activités rédemptrices pour moi, contrebalançant ce collège si hostile (d'autant que je me mis également à aller monter à cheval, ce qui fut la cerise sur le gâteau de mes activités). En outre, elle habitait à côté du collège et mes parents m'autorisaient à aller chez elle avant et après les cours : je n'avais plus à attendre seule dans la cour de récréation, sans savoir où me mettre. J'étais à l'abri, chez Alexandra. Alexandra était une jeune fille qui n'était pas forcément très appréciée ; elle était souvent raillée, parce qu'elle avait ce profil « intello » (douée en classe, répondant aux questions des professeurs, fille de professeur) et parce que, de plus elle était juive (cela a été assez marquant pour moi de voir à quel point son judaïsme pouvait être source de quolibets de la part d'autres élèves). Pour autant, elle était quelqu'un d'assez sociable, ne se démontait pas face à cela et même si elle était plus critiquée que moi, elle était aussi certainement plus appréciée, puisqu'elle parvenait à se faire d'autres amis et était même invitée à des booms! Moi, je n'existais pas, à part aux yeux d'Alexandra. Je n'étais pas forcément très critiquée, mais j'étais totalement ignorée... Ca me convenait parfaitement! J'aurais été bien mal à l'aise d'être invitée à une boom (ce qui m'est tout de même arrivé une fois, par le biais d'Alexandra)...! Parfois, certains des nouveaux amis d'Alexandra devenaient des 'connaissances' : ils me faisaient la bise quand ils me croisaient avec elle. Je détestais faire la bise, mais j'avais l'impression que cela me rapprochais d'une certaine 'normalité'. Tout comme les fois où Alexandra me prenait par le bras (c'est quelque chose que les collégiennes peuvent faire entre elles lorsqu'elles sont amies): cela me mettait très mal à l'aise car j'avais déjà du mal à savoir quoi faire de mes bras et mes mains mais si en plus on 's'agrippait' à moi, que pouvais-je faire ?? Alors j'essayais de ne pas trop me raidir... Alexandra me permettait également de découvrir l'univers des 'filles' : elle aimait bien faire les magasins, elle s’intéressait aux garçons, elle mettait des robes, du vernis à ongle, du maquillage. Parfois elle essayait de m'encourager à faire cela, mais ce n'était pas vraiment mon truc (je m'y suis tout de même mise un peu au lycée et plus tard; je pense même être maintenant plutôt féminine). A défaut de réussir à faire comme les autres, j'apprenais certains tenants et aboutissants du fonctionnement des adolescents, sans compter que j'observais vraiment beaucoup ce qui se passait autour de moi au collège.

 

Passage au lycée et gros soulagement pour moi de quitter ce collège...

 

Mais catastrophe : je n'étais pas dans la même classe qu'Alexandra. Je me suis déjà retrouvée si seule au collège.... Ceci était inenvisageable car si je n'étais pas dans la même classe qu'Alexandra, non seulement je n'aurais personne à côté de qui me mettre en classe (au collège, nous étions souvent placés par nos professeurs, ce qui était déplaisant pour la plupart, mais rassurant pour moi : d'une part, pas besoin de chercher à côté de qui me mettre ; d'autre part, nous avions une place fixe), mais en plus nous n'aurions pas les mêmes horaires donc nous n'aurions pas les mêmes horaires de passage au self et je mangerais seule et serais obligée de me retrouver seule dans la cours à la fin des cours lorsqu'elle finirait plus tard que moi, à chaque fois au milieu de tous ces autres qui savaient se faire des amis... Dès le deuxième jour, je ne voulais plus aller au lycée. C'était beaucoup trop de changements, trop de pertes de repères et trop dur à gérer (d'autant qu'il y avait eu du changement chez moi également puisque mon père était décédé au début de l'été). J'ai fait une grosse crise. Je ne pouvais pas aller au lycée si je n'étais pas dans la même classe qu'Alexandra. Je ne sais pas comment cela s'est résolu exactement, je sais simplement que ma mère est allée voir le principal, pour demander un changement de classe (et que cela lui a beaucoup coûté car elle n'aimait pas demander quoi que ce soit mais je suppose qu'elle n'a pas tellement eu le choix au regard de mon état...; ma mère n'était pas du genre à céder aux 'caprices', mais elle savait que je ne faisais pas de caprices, que je faisais des efforts et que si je rentrais dans de telles crises, c'est que ça n'allait vraiment pas). Auprès du principal, elle a corrélé ce besoin d'avoir un repère au fait que mon père venait de décéder. Ce changement a été accepté. Alexandra est venue dans ma classe.

Ceci a été très bénéfique. La mentalité des élèves change au lycée. Alexandra s'est fait davantage d'amis, m'a introduit, parlait pour moi au départ et petit à petit, j'ai commencé à sympathiser un peu avec d'autres élèves. J'ai même été invitée à une soirée ! Sympathiser est un grand mot ; je n'ai jamais été celle sur qui on se précipite pour dire bonjour, mais les élèves de ma classe pouvaient me saluer en arrivant. De plus, mes camarades de classe étaient particulièrement intéressés par le ski et la musique. Je connaissais bien les stations de skis, mes parents étant des passionnés, et j'avais un assez bon niveau. Donc je pouvais parler un peu de ski, et un peu de musique car j'avais pratiqué un peu la musique et j'avais une petite culture musicale de part mes grands frères.

Au lycée, je me suis faite quelques 'amis'. Ce ne sont pas des relations qui ont duré dans le temps (j'ai tout de même gardé un ami qui habite à Paris mais que je ne vois jamais et dont je n'ai pas eu de nouvelles depuis longtemps), mais au moins je n'étais plus totalement en dehors des relations inter-personnelles.

En première, Alexandra et moi nous sommes dirigées dans des sections différentes ; elle a de plus fait une rencontre amoureuse. Nous nous sommes éloignées puis avons perdu contact. 

Malgré tout, grâce à elle au départ, grâce à mon observation également, j'ai petit à petit appris à faire un petit peu de conversation avec des gens ; poser quelques questions de bases, essayer de répondre à celles qu'on me pose, de manière ni trop succincte, ni trop étendue. Tout cela m'a semblé très compliqué à apprendre (surtout l'initiation de la conversation), mais je crois avoir réussi... Alors je ne serai jamais une grande virtuose de la conversation, et de la camaraderie mais j'ai acquis les bases au fil de mes années d'études et en commençant à pratiquer cela, petit à petit.

 

Difficultés à maintenir le contact

 

Cependant, le tout n'est pas de nouer contact et se faire des 'amis', mais c'est aussi de les conserver après... Mes années d'études supérieures ont été l'apogée de ma socialisation, même si j'étais toujours un peu 'à part'... Pour autant, je n'ai jamais su garder les amis que je me faisais car je ne participais pas aux soirées (enfin au début je participais car j'avais cette réelle volonté de m'intégrer, mais c'était vite beaucoup trop usant et je finissais par des refus systématiques...) et parce que je ne faisais pas tellement d'activités avec d'autres. J'avais compris qu'un des moyens d'avoir et de garder des amis était d'avoir des intérêts communs et de partager des choses ensemble... Et ça, je ne savais pas comment faire... j'avais l’impression d'être inculte car je ne connaissais rien à leurs discussions ; et j'avais en outre rarement des centres d'intérêts en commun... Ainsi, les relations que je pouvais construire s'étiolaient rapidement... Malgré tout, il y avait quelque chose de nouveau : j'arrivais à plaisanter avec certains, je comprenais certaines de leurs blagues et jeux de langage... Or c'est quelque chose qui est également important dans l'amitié. Mais au delà de ça, j'avais toujours de grosses difficultés à passer un coup de fil pour prendre des nouvelles de quelqu'un et toujours le besoin d'être seule le plus souvent. Au final, j'ai gardé quelques lointains contact avec des personnes rencontrées dans mes études supérieures (c'est à dire qu'ils sont par exemples dans mes contacts facebook) mais je n'ai aucun échange avec eux...

 

Aujourd'hui, j'ai quelques amis mais ils sont rares et je manque encore parfois de les perdre. Par exemple, avec l'un d'eux que j'apprécie beaucoup, j'ai commis une erreur. A trois reprises, il avait essayé de me voir entre cet été et le mois de décembre, et j'avais refusé (du fait de ma fatigue). Comme je ne l'appelle jamais de mon côté, il m'a dit en avoir eu marre et il a effacé mon numéro, pensant ne plus me recontacter. Au final, il est repassé me voir et m'a avoué cela, me disant que la prochaine fois, il attendrait que ce soit moi qui le contacte. J'ai fait l'effort de le faire. Je crois que ca lui a fait plaisir. J'ai beau lui dire qu'il compte beaucoup pour moi; il a beau connaître ma fatigue et mes difficultés à voir du monde ; j'ai pris conscience que ce n'était pas facile pour lui que je ne le contacte jamais. Pour moi l'amitié peut se passer de rencontres et de dialogues ; mais pour beaucoup de gens, ce n'est pas le cas..., même pour les personnes qui peuvent se définir comme 'solitaires'... (personnes que je trouve de mon côté très sociables... ! Tout est relatif...).

En outre, il y a toujours, de manière générale, une certaine distance qui demeure entre les autres et moi, comme j'en parlais dans cet autre article.

 

Sinon, j'ai eu des petits amis ; au final, c'était quelque chose de moins difficile que de me faire des amis car à partir de l'âge de 17-18 ans, j'ai tenté de faire un peu plus attention à mon apparence et j'ai découvert que je plaisais aux garçons. Ainsi, ils pouvaient être assez entreprenants (et explicites) envers moi. Pour autant, il a toujours été difficile pour moi de construire une relation amoureuse à cause de différents aspects mais ceci est également un long sujet...

Lorsque j'étais en couple, j'avais comme amis passagers, les amis de mes petits amis, passagers eux aussi...

 

Aujourd'hui j'ai aussi des amies que je me suis faite en échangeant à propos du SA, et quelques connaissances. Ces amies là sont précieuses car c'est la première fois que je peux vraiment exprimer mes ressentis en me sentant comprise...Pour moi, et même si je n'ai jamais rencontré certaines, ce sont les personnes les plus proches de moi, après ma mère, car certaines connaissent qui je suis en profondeur, contrairement à la plupart des gens.

 

Il y a des jours où j'ai davantage conscience de mes différences au niveau de la sociabilité. Les jours comme le 1er janvier, par exemple. Cette année j'ai reçu un message de mon frère sur mon téléphone, un message d'une amie asperger sur facebook, et un message d'une ancienne collègue. C'est peu, mais ça ne me dérange vraiment pas (au contraire, car ce rituel de se souhaiter la bonne année, tout comme celui des anniversaires, m'agace!). En revanche, les messages que j'ai reçu étaient emplis de sincérité et très personnalisés... Ainsi, même si ce rituel peut m'agacer, ces messages m'ont malgré tout fait grand plaisir.

 

Disons qu'en amitié, je privilégie la qualité à la quantité...! (que ce soit dans le nombre d'amis, ou dans la fréquence à laquelle je les vois!)

 

Pour conclure, je dirais qu'il est très clair que j'ai eu moins de difficultés d'intégration que d'autres personnes autistes et que je m'en sors plutôt bien; malgré tout je crois qu'il y a une différence chez moi, qui est d'ailleurs, tangible pour certains puisqu'il n'est pas rare qu'on me parle de mes bizarreries, de mon étrangeté. je crois qu'au fil du temps, j'ai réussi à faire avec mais j'avais toujours du mal à comrpendre cela. Pour cette raison, mon diagnostic a été une réelle libération car il y a eu enfin une explication à cela et aux nombreuses questions que je me posais depuis ma plus tendre enfance...

 

Par Weirda

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