Autisme Regards Croisés
Et ainsi de suite. Voilà à quoi ressemblait une conversation avec un collègue par exemple dans mon jeune âge. On Comme tout le monde par Gérald
« Tu vois, le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. »
Le Bon la brute et le truand
Jeudi 10 juin 2014
L’un des indices permettant d’entrer dans la démarche du diagnostique dès l’enfance est un retard dans l’acquisition du langage (voire pas d’acquisition du langage du tout) or excepté en danse peut-être, et en foot bien évidemment (mon record de jongles étant toujours de cinq et demie), je n’ai jamais présenté le moindre retard en quoi que ce soit, du moins n’en ai-je jamais entendu parler, ce qui n’est guère étonnant puisque je suis résolument, définitivement, IN-DU-BITA-BLEMENT, quelqu’un de très intelligent, du moins sont-ce les mots que je suis parvenu à capter à l’aide de mon récepteur anal-logique directement branché sur les années quatre-vingts (entre une chanson de Sabine Paturel et un épisode de Goldorak), car pour ma part, je me sens franchement de plus en plus crétin, et mon goût immodéré pour la bière et le whisky ne m’aide certainement pas à me sentir moins ou plus, plus ou moins (j’aurais bien besoin de prendre une douche moi)(tout ceci sonne comme un écho, je l’ai déjà dit) (j’aurais bien besoin de prendre une douche moi).
Quoi qu’il en soit, l’une des premières caractéristiques de l’intelligence étant la capacité à capter et traiter un nombre plus important d’informations, c’est exactement cette capacité qui permettra à certains enfants autistes de compenser différentes difficultés de construction dont celle qui nous occupe ici : le retard dans l’acquisition du langage.
En ce qui me concerne, j’ai appris mes mots, j’ai appris à lire, et dans ma lancée (foufou que j’étais) j’ai également appris à écrire. Dès lors, je ne pouvais être autiste car à partir du moment où un enfant est capable de produire un échange verbal cohérent, (fautquejailleauxtoilettessteplémonsieur) peu importe ses différences, peu importe ses difficultés, il ne peut être considéré comme autiste. C’est aussi simple que ça et c’est ainsi que l’escroquerie, la machine, la programmation pour l’explosion totale vingt à trente ans plus tard se met en place et que rien ne peut l’arrêter. Et si dans 95% des situations je suis incapable de tenir une conversation orale comme tout le monde ce n’est absolument pas grave. Au mieux, j’ai un problème psychologique quelconque (une phobie des mots tiens ! On me l’a pas faite celle-là encore) au pire, c’est de ma faute, je ne fais pas d’efforts.
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- "Tu n’as aucun trouble du langage enfin ! T’es juste un peu introverti !"
Sincèrement, ai-je l’air introverti, ici, là, maintenant ? Qu’en pensez-vous à lire ce journal Madame la Juge à lunettes ? Regardez-moi dans les yeux et répondez-moi. Non ! Ne me regardez pas dans les yeux ! Surtout pas ! Ai-je l’air introverti ? Soyons sérieux, je ne suis pas plus introverti que le cul d’une dinde sur la table de Thanksgiving (enfin si, un peu plus quand même, pas touche !). Simplement, je ne sais pas parler, pas comme tout le monde je veux dire. Bien entendu, je ne sais pas vraiment comment cela se passe dans la tête des autres car je n’y ai pas accès (et je ne veux surtout pas y avoir accès !). Simplement, lorsque je les regarde avoir une discussion, je constate bien que ce n’est pas la même chose que lorsque moi j’ai une discussion ou essaie d’avoir une discussion. Ça ne l’est pas et ne l’a jamais été, et vraisemblablement ne le sera jamais. Je constate qu’ils s’entrainent mutuellement les uns les autres, comme si tout était naturel, exactement comme si leurs phrases étaient prêtes à l’avance ou comme s’ils disposaient d’un choix de phrases pour tous types de situations, presque comme s’ils déroulaient un discours appris par cœur, le tout ponctuer de rire, de sourire, d’éclats de voix, de gestes en haut de gestes en bas. Regarder des êtres humains avoir une discussion est pour moi un spectacle tout à fait saisissant. J’ai toujours été, si l’on excepte deux ou trois cas bien précis, incapable de faire ceci.
De quelle façon cette incapacité à discuter avec une personne (plus d’une c’est même pas la peine d’y penser !) se traduit-elle ? C’est assez simple. Vous voyez le vide intersidéral se situant entre La Terre et Alpha du Centaure ? Eh bien voilà, vous y êtes. Cette incapacité se traduit dans ma tête en blanc, en silence, en vide, en points de suspension (et inévitablement en massives doses d’angoisse). Les mots ne viennent pas. Je dirais même que c’est bien pire car si les mots se contentaient de ne pas venir, je pourrais encore faire l’effort d’aller les chercher, mais non, j’ai vérifié, ce n’est pas seulement qu’ils ne viennent pas, c’est qu’ils ne sont nulle part. Pourtant je les connais bien les mots, (regardez-moi Madame le Juge les enfiler sur cette page comme des perles sur un collier)(les autistes sont généralement nases tous pourris en comparaison et autres métaphores, il faut le savoir) ils viennent tous seuls, mais uniquement au bout des doigts, dès qu’il s’agit de les dire avec sa langue, il n’y en a tout simplement plus. Deux phrases et je suis perdu (je profite d’ailleurs de cette occasion pour postuler, au niveau international j’entends, pour le titre de plus mauvais raconteur d’anecdotes)(et la dernière fois que j’ai essayé de raconter une blague c’était en 1988). Donc parler, ouais j’évite.
Selon les études de nos grands chercheurs scientifiques en autisme la question du pourquoi aurait à voir avec le niveau d’écoute. Je suis tout à fait d’accord avec eux (ça et deux ou trois autres trucs sensoriels). J’irais même plus loin. S’ils étaient venus me poser la question il y a une vingtaine d’années de cela, lorsque je prononçais mon premier mot de la journée à 17h30 après être rentré d’une journée harassante de silence au lycée du coin, nous aurions pu gagner un paquet d’années. Bon, eux je sais pas mais en tout cas moi, c’est certain. Tout comme s’ils s’étaient posés la question de la différence du fonctionnement de notre cerveau entre l’écriture et l oralité. Il est évident que le système neuronale entrant en action pour produire l’une ou l’autre action n’est pas du tout le même et qu’il n’y a nullement besoin d’avoir le plus gros zizi d’IRM pour le constater.
L’écoute. Ce truc que les gens sont censés faire avec leurs oreilles. C’est assez amusant car je n’ai jamais été très loin de découvrir le poteau rose (les autistes sont aussi souvent très nases tout pourris en expressions toutes faites) tout seul. Lorsque je regardais deux être humains discuter, je ne pouvais m’empêcher de me demander : « Mais comment font-ils pour écouter puisqu’ils ne cessent jamais de parler et de se couper la parole ?». Et d’après le manque de précision et autre pertinence de certaines de leurs phrases, la seule réponse à laquelle je parvenais était : « ils ne s’écoutent pas en fait. Ils ne font que se balancer des trucs mais personne n’écoute personne ». Or, si personne n’écoute personne, à quoi bon parler ?
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- Citez-moi trois de vos qualités.
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- La disponibilité, la ponctualité, et, euh, le sens de l’écoute.
Ah ce fameux sens de l’écoute ! Je ne sais toujours pas à quoi correspond exactement ce fameux sens de l’écoute en revanche il est certain que nombre de neurotypiques ont un énorme sens de l’humour (que je ne comprends guère plus). Ne serait-ce pas plutôt « le sens de répondre » ou bien peut-être le « sens de juger », parce que pour le sens de l’écoute, je pense moi qu’il y a méprise, il y a confusion.
Croiser une personne disposant du sens de l’écoute n’arrive pas tous les jours, loin de là. Je le sais puisque moi, je l’ai, ce foutu sens de l’écoute.
Le sens de l’écoute se remarque très facilement de part les mots qu’emploie notre interlocuteur dans sa réponse. Va-t-il simplement ramener à lui ce que nous lui racontons afin de socialement se valoriser par une entourloupe quelconque, ce qui arrive dans la majorité des situations (même si certaines entourloupes sont d’une redoutable efficacité, avec les années tout devient de plus en plus clair. Terrifiant aussi…). L’autre cas correspondant à ce qu’ils appellent une écoute active (ce qui veut tout dire non ? Ils se sont retrouvés obligés de créer une méthode pour écouter pour de vrai tellement ils n’écoutaient pas) qui si elle repose sur différentes techniques identifiables dans la seconde n’en demeure pas moins dans certains cas beaucoup plus agréables au niveau des échanges émotionnels. Quoi qu’il en soit, tout ceci peut très rapidement rendre complètement dingue. Vraiment. Au fil des jours, au fil des ans, l’écoute, c’est beaucoup moins drôle. On finira par admettre qu’il est beaucoup plus simple de se taire que de chercher à comprendre (se faire comprendre vaut mieux pas y penser).
En ce qui me concerne, je dirais que cette distorsion de l’écoute forme un des éléments de la base, des fondations sur lesquels je me suis construit le long des mois et des années de l’enfance puis de l’adolescence, cette base qui représente le terreau de ce que les psychologues appellent les troubles associés à l’autisme, autrement dit tout un paquet de névroses qui n’ont rien à voir avec l’autisme, mais qui n’en sont que des conséquences.
Si les scientifiques à l’époque… Il existe… Si les scientifiques aujourd’hui voulaient bien me…
Si le problème, chez moi, et chez d’autres autistes, vient effectivement de ce niveau d’écoute constamment bloqué en position maximale, ce qui provoque une paralysie, une sidération des autres niveaux de communication et tout un tas de problèmes concomitants, nous pouvons en revanche et dans une certaine mesure remédier à cet état. Nous pouvons, nous sommes capables de régler le niveau de notre écoute comme… comme le volume du son sur notre téléviseur. Voilà bien quelque chose qui risque de demeurer à tout jamais abstrait pour tout neurotypique qui se respecte.
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- Chérie ? Tu vas pas croire ce qui m’est arrivé ! Un truf de ouf !
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- Quoi ?
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- J’ai parlé !
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- Ah ? Et t’as dit quoi ?
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- Je sais pas. Mais en tous cas, j’ai parlé !
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Régler son niveau d’écoute est une technique qui fonctionne. (Note Béné, note ! Oubliez les substances euphorisantes et autres produits plus ou moins licites. Ça ne fonctionne jamais très longtemps et le prix à payer est beaucoup trop lourd). Les deux leviers de ce processus seront comme bien souvent : la confiance en soi et le lâcher prise. Ce dont l’autiste au fil des années possède de moins en moins. Ce qui revient à dire, ou à penser : j’ai le droit d’être comme je suis, j’ai le droit de bafouiller, j’ai le droit d’exprimer mes idées en bégayant, j’ai le droit de prendre trente-cinq secondes de silence pour chercher un truc à dire (alors ça va ?) (Ils ont prévu des nuages cet après-midi), j’ai le droit d’expliquer, raconter, parler de ce à quoi seulement trois personnes s’intéressent dans le monde. J’ai le droit et fuck the word !
Il m’est arrivé plusieurs fois ces derniers mois de réduire le niveau de mon écoute et d’avoir un véritable échange de type anodin avec une personne que je ne qualifierai pas de proche. Cette expérience fut très troublante. Ces conversations furent plutôt bancales, imparfaites, ridicules et n’ont absolument débouché sur… rien. Mais je l’ai fait. Petit à petit. Jour après jour. J’ai fini par en tirer différentes conclusions (tout à fait personnelles et dont bien entendu il ne conviendrait pas de tirer des généralités).
Ce qui m’a le plus surpris est le degré d’inconscience vers lequel il faut descendre pour parvenir à tenir une conversation dans laquelle les phrases se balancent d’un côté à l’autre. Lorsque cette conversation se déroulait, je n’avais aucune idée, je n’avais aucune conscience de ce que j’allais dire. Les phrases sortaient toutes seules (ce qui peut provoquer des situations plus que délicates du type : « mais pourquoi j’ai dit « bisou » à la maîtresse de mon fils moi ? »). Je trouve qu’il est également très difficile de s’en souvenir par la suite. J’ai personnellement tout oublié. D’ailleurs, d’une façon générale je ne retiens aucun échange verbal, pas même ceux que je peux avoir par le plus grand des hasards. Ce qui est assez paradoxal pour un type faisant le beau avec son grand sens de l’écoute. Je ne sais pas pourquoi mais c’est ainsi. J’écoute tout mais je suis incapable de reformuler la moindre discussion.
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- Alors t’as discuté de quoi avec ton pote pendant plus de deux heures ?
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- On a parlé de… Euh… Beh je sais plus.
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- Tu te fous de ma gueule ?
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- Beh… Euh… Non ! Pas du tout !
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Le monde serait-il ainsi ? Serais-je d’un côté, toujours à chercher un truc à dire avant de le dire et de l’autre tout un tas de gens totalement inconscients de ce qu’ils disent ? Ou est-ce encore un biais de compréhension ? Je pencherai davantage pour la première idée. Ils sont totalement inconscients de ce qu’ils disent et ce qu’ils font, et encore moins de ce qu’ils sont. Mais ceci est un autre sujet.
Même si dans le meilleur des cas nous parvenons à un niveau suffisant pour communiquer, c’est une erreur absolue de croire qu’un jour nous serons, nous fonctionnerons comme des neurotypiques. Nous pouvons travailler plus ou moins dur pour améliorer nos moyens de communications, pour davantage de partage, davantage d’acceptation, moins de souffrance, moins d’exclusion, mais nous ne serons jamais autre chose que ce que nous sommes. Personnellement, je trouve la plupart des conversations dépourvues d’intérêts, purement formelle, d’une pauvreté ahurissante, pleines de codes incompréhensibles et de faussetés, ( ce que eux semblent trouver tout à fait normal) en conséquence de quoi, je me demande : quel est l’intérêt ? En ai-je véritablement envie ? Dois-je travailler si dur pour ça ? Ce genre d’échanges, de relations ne m’intéresse pas plus que ça. D’un autre côté je me dois de le faire. D’une part parce que ce n’est certainement pas eux qui le feront, d’autre part parce que c’est quand même relativement agréable de participer à la vie. Simplement, nous devons apprendre à gérer l’ensemble du système. Cela implique d’accepter de monter ou descendre dans les fréquences, dans les niveaux de consciences, accepter d’être ce que nous sommes sans nous juger, jouer de tout ça en quelques sortes. Ce n’est certes pas de tout repos, mais il y a indéniablement un certain côté amusant passé un certain stade.
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- Comment vont ta femme et tes enfants ?
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- Bien merci.
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- Il fait beau aujourd’hui, j’espère que ça va durer.
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- Oui.
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- T’as déjà posé tes congés de cet été ?
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- Non.
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- Nous on part au Cap d’Agde.
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- Ah.
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- Au moins on est sûr qu’il fera beau et chaud.
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- Oui.
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- Ah vivement le week-end !
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- Ok.
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- Tu fais quoi toi ce week-end ?
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- Je sais pas.
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- Je vais peut-être aller au cinéma avec Cindy et les enfants.
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- Ah.
Et ainsi de suite. Voilà à quoi ressemblait une conversation avec un collègue par exemple dans mon jeune âge. On comprendra aisément pourquoi j’ai fini veilleur de nuit. J’arrive maintenant à incorporer des variantes à l’intérieur de l’échange. Du genre « ah et vous partez combien de temps ? » voire truc de dingue, faire de la relance plutôt qu’attendre inexorablement ce qui ne manquera pas d’arriver : « Je sais pas et vous vous faites quoi ? ». Ou bien une demande d’informations complémentaires : « Ah. Et vous allez voir quoi ? ». Bien sûr, eux tout ceci semble véritablement leur être nécessaire voire le faire plaisir alors que personnellement je n’en n’ai vraiment rien à foutre de ce genre d’échange avec un collègue, mais j’ai pu vérifier que dans la première version je passais pour le type bizarre plutôt tendance vaut mieux pas trop lui parler à lui et dans la seconde pour un type, certes toujours un peu bizarre, mais très sympathique et vers lequel on s’approche en souriant. Bien entendu, ce que je suis en réalité personne n’en à rien à branler, mais c’est tout de même plus agréable de vivre dans la peau d’un type sympathique que d’être celui qu’on évite (ça tient à pas grand-chose le monde neurotypique hein…).
La différence se situe bien ici au niveau de conscience. Lorsque ma forme psychologique me permet de participer activement à la vie neurotypique comme par exemple dans l’échange ci-dessus, j’ai absolument conscience de tout ce que je fais, réponds. Ne nous méprenons pas. Je ne suis pas une machine. J’aime les gens et la vie. Cela n’a rien à voir avec de la fausseté ou de la manipulation. Simplement, c’est ainsi que cela se passe dans ma tête. Et si je me donne toute cette peine c’est uniquement parce que la vie en devient légèrement plus facile, les relations plus douces et surtout les troubles associés (angoisses, stress, peur, phobie, fatigue, poussée suicidaire etc) diminuent fortement.
Aujourd’hui encore et malgré tout, lorsque je me retrouve avec un clavier dans les mains, où le sens de l’écoute est réduit à son minimum (excepté bien entendu si ma femme se trouve dans la même pièce…) et où les paramètres sont beaucoup mieux définis (on peut parler à tour de rôle, se relire, réfléchir, etc) en sécurité derrière la table de mon salon, un interlocuteur ou pas, et ce malgré tous le savoir que j’ai accumulé en la matière depuis quelques mois, il m’est souvent et particulièrement difficile de me considérer comme autiste. Alors je me dis des trucs du genre, « non mais t’es con ou quoi, t’es en pleine hallu mon gars » ou bien « et tu balances ça en public mais t’es cinglé ». Alors, il me suffit de mettre ma paire de baskets, de sortir de chez moi, et de tenter d’avoir un échange verbal avec n’importe quel être humain. Et là, d’un coup, ça va beaucoup mieux.
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