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Bienvenue en Autisterie                            Par Gérald

 

 

 

                                                                                                                              « - Il doit être devenu fou.
                                                                                             -Vous croyez ? Pourtant tout ce qu'il dit est très équilibré. »

                                                                                                                                   Papillon, Henri Charrière

 

 

Dimanche 6 juin 2014

 

 

Autiste : nom commun utilisé pour qualifier de façon péjorative une personne ne comprenant pas suffisamment vite ce que dit son interlocuteur. On dira alors « T’es autiste ou quoi ? » ou encore « Oh ça va ! Arrête de faire ton autiste ! ». Synonyme : débile.

 

 

 

Définir l’autisme, ou plutôt, parvenir en quelques lignes à définir dans son entièreté ce qu’est l’autisme, me parait des plus improbables, qui plus est pour un bleu bite tel que moi pour qui l’autisme se résumait avant-hier à avoir dans le coin droit du ring un type répétant sans cesse « mais quel est le joueur en première base quel est le joueur en premier base quel est le joueur en première base » et à qui tu as juste envie de défoncer le crâne à coups de télécommande cent huit boutons pour qu’il se taise, et dans le coin gauche un gamin se balançant perpétuellement d’avant en arrière (mais que Torey Hayden va sauver, du moins si elle est dans le coin, sinon c’est pas de chance) aussi sûrement que l’horloge de grand-mère de

droite à gauche et qui, sans jamais dire un mot, aime à se fracasser la tête contre les murs (toujours ça de gagner pour la télécommande), foutre du sang partout, voire le cas échéant te lacérer le visage à coups d’ongles si jamais tu as l’outrecuidance de vouloir lui sauver la vie.

Telle était effectivement ma vision de l’autisme avant-hier, vision qui si le cynisme avait un jour été drôle aurait pu l’être. Hélas, cette vision correspondant aujourd’hui encore à l’image que se font de l’autisme les personnes n’ayant jamais eu l’occasion d’y être confronté, c'est-à-dire la grande majorité des personnes, elle ne l’est pas vraiment, drôle. Et ce ne sont pas trois plans d’états en dix ans, plans d’états faisant suite à la condamnation de la France par le Conseil de l’Europe en 2004 (ah ouais quand même !), qui ont changé quelque chose car dans les actes et les faits, ce que nous pouvons constater est qu’aucune autorité publique de ce pays ne semble véritablement désireuse de rattraper les quarante ans de retard que la France a accumulé au fil des années sur la plupart des pays dits « développés ». Dans le cas contraire les professionnels œuvrant dans ce domaine ne demeureraient pas si sous-qualifiés (pour ne pas dire incompétents), le nombre de structures ne demeureraient pas si insuffisants et les listes d’attente vers le diagnostique ne demeureraient pas si absurdement longue

 

 

« - Oh t’es toujours vivant ? On t’as pas vu de l’année.

   - Ouais je sais, je faisais la queue avec mon gamin au CRA du coin. »

 

 

Si tout ceci intéressait un peu plus de huit personnes et demie (et deux ou trois membres de leur famille bien entendu), nous pourrions nous demander pourquoi un tel retard dans la prise en charge de l’autisme, pourquoi un tel désintéressement de la part des institutions. Nous pourrions alors répondre, justement en raison de ce petit jeu social que ne comprennent pas les autistes, ce petit jeu social qui consiste à ne pas froisser les uns, ne pas heurter les autres, pour au final ne rien faire et se complaire dans, si ce n’est un immobilisme total (non je ne parle pas de l’Education Nationale), un mouvement qui ne va quand même pas bien vite. En conséquence de quoi, nous pourrions alors nous demander quelles sont les personnes qu’il ne faut surtout pas froisser. Je ne sais pas. Je ne sais pas mais si l’on me laissait l’occasion d’émettre une hypothèse je dirais que la France étant, comme tout le monde le sait, d’obédience psychanalytique, il s’agirait ici de ne pas froisser tout le lobby en question (ainsi que tous leurs sympathisants politiques et leurs sous-traitants directs que nous retrouvons jusque dans les plus bas échelons professionnels, comme les directeurs d’I.M.E ou les éducateurs spécialisés dont certains sont par exemple encore persuadés qu’un autiste ne peut rien apprendre, ne peut pas évoluer), une espèce de diaspora pseudo intellectuelle bien accrochée à son nonosse (gloire, pouvoir et argent) et surtout bien résolue à ne pas le lâcher, ce qui dans le cas contraire reviendrait à les forcer à assumer le fait qu’ils racontent tous pas mal de conneries depuis des décennies, concernant l’autisme mais également bien d’autres choses.

Quoi qu’il en soit, hypothèse ou pas, aujourd’hui encore et pour pas mal de monde, l’autiste demeure un handicapé, un malade complètement inadapté et inadaptable à une quelconque forme de vie en société, voire dangereux, pour lui-même et/ou pour les autres, un malade complètement inadapté et inadaptable que nous devons enfermer dans une institution, du moins lorsqu’il y a une place de libre (faites la queue s’il vous plait Madame et la ramenez pas vu que c’est de votre faute si le gamin va pas bien) afin de protéger un peu tout le monde. Et l’histoire s’arrête là.

 

 

 

 

Sauf que ! Sauf que non ! Ce n’est pas parce que la politique française s’apparente bien souvent à la famille des struthionidés que l’histoire prend fin. L’histoire ne s’arrête jamais. Et grâce à ce mouvement perpétuel nous avons aujourd’hui dans la somme des connaissances publiques, c'est-à-dire accessibles à tous sans trop faire d’efforts, ce que nous pouvons appeler les stars du show-biz de l’autisme. Elles se trouvent assez facilement au milieu de la dizaine de livres, toujours les mêmes et racontant à peu près tous la même chose, composant le rayon autisme des supermarchés culturels perdus quelque part entre la schizophrénie et « ma mère est bipolaire ». Citons par exemple Temple Grandin, Daniel Tammet et notre représentant national, Josef Schovanec.

Peu connus du grand public mais que les zappeurs les plus chevronnés ont pu entendre au moins une fois dans leur poste de télé ou de radio, ils ont au moins le mérite de jour après jour peaufiner l’image de l’autiste chez qui se donne la peine de les écouter. Dorénavant, nous savons d’après leurs témoignages, et encore merci à eux (alléluia mes frères alléluia mes sœurs !), que l’autiste est capable de parler correctement, voire même, truc de fou, écrire en construisant des phrases dépassant le schéma sujet/verbe/complément (contrairement à beaucoup de gens sans autisme), est à même d’entretenir des relations cordiales avec des animaux, voire, re-truc de fou, des personnes humaines. Encore mieux, l’autiste, pour peu que l’occasion lui soit laissée, est capable de tenir un rôle social voire mener avec talent une carrière professionnelle.

Bien entendu, pour parvenir à un tel niveau d’humanité, quelques prédispositions sociales sont prérequises dont la principale sera sans nul doute de ne pas posséder dans sa joyeuse collection de galères un certain retard intellectuel, car comme nous venons de le constater par l’intermédiaire des trois héros involontaires du jour, il existe bel et bien un autisme sans déficience intellectuelle, et même (WARNING ! Veuillez écarter les âmes sensibles de la fin de la phrase) un autisme avec haut potentiel intellectuel.

 

 

 

 

 

Temple Grandin a transformé les conditions d’abatages des animaux aux Etats-Unis et a figuré dans la liste des cents personnes les plus influentes du monde. Daniel Tammet détient le record de l’énoncé du nombre de décimale au chiffre Pi, parle couramment douze langues et a créé un site internet d’apprentissage des langues rencontrant un franc succès. Quant à Josef Schovanec, notre représentant national, il est docteur en philosophie, polyglotte et ancien élève de sciences-po. Entres autres. Tout ceci nous donnerait presqu’envie d’être autiste !

En revanche, si ces témoignages contribuent effectivement à mieux faire connaître ce qu’est l’autisme, la façon dont ils sont écrits me laisse perplexe pour ne pas dire m’apparaît douteuse. Je n’ai rien contre la gentillesse, et guère plus contre la bienveillance, mais en les lisant je ne peux m’empêcher de me demander où sont passées leurs douleurs, où sont passées les souffrances, les épreuves qu’ils ont endurées avant de parvenir à la reconnaissance, au rang de star ? N’avaient-ils pas d’autres outils pour écrire leur livre que cet insupportable stylo en sucre d’orge ? Et pourquoi ? Parce que l’argent, la gloire mais surtout le fait d’avoir trouvé une place sociale, un rang social, un costume social, adoucit les souvenirs ? Ou bien parce que là encore, il est malvenu de froisser, il est malvenu de heurter, de choquer, de pousser le lecteur à la confrontation avec sa crasse ignorance ? Dès lors, que dire de tous les autres et surtout, que faire pour tous les autres ? Ceux qui n’ont pas de talents particuliers, ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir des parents débordant d’amour, ceux qui par la force des choses, le mépris, l’ignorance, sont obligés de se cacher, de se dissimuler aux regards des autres, ceux qui vivent dans l’échec et le désœuvrement total. L’autisme ne se résumerait-il qu’à cela ? Deux ou trois monstres que l’on exhibe dans les films et les livres comme on le faisait autrefois dans les foires, avec quelques décennies de moraline pour recouvrir le tout et paraître socialement bien propre. This is one small step for a man, one giant leap for mankind.

 

 

 

 

 

Qu’est-ce que l’autisme ? L’autisme est pour certains une différence que nous devons accepter et faire accepter, pour d’autres l’autisme est une maladie que nous devons soigner et guérir, pour d’autres encore l’autisme est un fonctionnement intellectuel entrainant diverses conséquences sociales plus ou moins pénibles mais participant à la richesse de la neurobiodiversité de l’espèce humaine. En réalité, ce que peu de gens savent, c’est que beaucoup ne savent rien.

Une grande majorité de la communauté scientifique s’accorderait à dire qu’il s’agit d’une maladie. En ce qui me concerne, ainsi que pour de très nombreux autistes, ce serait plutôt la communauté scientifique et tout le reste de la population qui seraient malade mais bon… Acceptons momentanément, pour les besoins de la cause dirons-nous, la case de malade et de personnes en situation de handicap (c’est quand même beaucoup plus long et pénible à écrire qu’handicapé)(et si en plus t’es maghrébin ça devient carrément pénible : personne en situation de handicap d’origine nord-africaine, pour dire un rebeu handicapé)(Et c’est l’autiste qui est malade…).

 

 

La même communauté scientifique s’accorde aujourd’hui pour parler de « spectre autistique », de            « continuum autistique ». Ce qui revient à dire de façon plus simple qu’il existe de « petits » autistes d’un côté, de « grands » autistes de l’autre, et entre les deux toute une bande de joyeux cinglés. Nous pouvons donc conclure qu’il n’existe pas un seul autisme mais différents autismes, différents niveaux d’autisme, une échelle de l’autisme. Certains seront beaucoup plus touchés que d’autres. Certains auront des capacités tout à fait stupéfiantes lorsque d’autres se verront atteint d’autisme léger. Certains ne pourraient survivre sans une aide institutionnelle lorsque pour d’autres il suffirait juste d’un peu moins d’ignorance et d’un peu plus d’acceptation. Ainsi, dans notre petit jeu des questions, la suivante pourrait être : Comment dès lors distinguer un autiste d’un neurotypique, et s’il s’agit effectivement d’un continuum ne serions-nous pas par conséquent tous un peu autiste ?

 

 

Bien évidemment, la réponse est non. Nous ne sommes pas tous autistes et afin de pouvoir classifier tout ce beau monde, la fameuse communauté scientifique a fini par se mettre d’accord sur trois critères de présélection. Alors, si malgré tout vous voulez tenter votre chance et faire partie de ce merveilleux club de tordus et avoir un jour la chance de pouvoir vous garer sur les places de parking réservées aux personnes en situation de handicap (…) et dont le nombre totalement disproportionné ne semble avoir pour raison d’être que de donner bonne conscience à notre sentiment d’humanité, sachez que vous devez tout d’abord posséder dans votre arsenal
une altération qualitative des relations sociales. Cela veut par exemple dire qu’il vous est très compliqué d’avoir ou de vous faire des amis, de participer à des activités de groupe comme un club de sport, un groupe de musique, ou tout simplement une fête quelconque, mais aussi de ne pas tuer vos collègues au cas où vous auriez la chance d’en avoir. Comme cet item correspond statistiquement a une franche partie de la population névrosée se cherchant une pathologie quelconque pour se définir et exister, sachez que vous devez également avoir
* une altération qualitative de la communication, c'est-à-dire par exemple de ne pas être foutu d’initier, tenir, entretenir, conclure une discussion en bonne et due forme mais aussi de la comprendre ou même de
s’y intéresser, ou encore ne pas reconnaître ni, ou mal, utiliser les signes 
non verbaux. Pour terminer, comme si cela ne suffisait pas, la cerise sur le gâteau, vous devez avoir
* des intérêts restreints et répétitifs, le genre de truc qui même si vous ne possédiez pas les deux items précédents n’intéresserait de toute façon personne, comme apprendre et connaître les horaires de train par cœur.

 

Résumons. Qu’est-ce que l’autisme ? L’autisme est :

 

* Une altération qualitative des relations sociales

* Une altération qualitative de la communication

* Des intérêts restreints et répétitifs

 

 

 

« Bonjour, vous êtes l’heureux gagnant de notre jeu concours ! Nous vous offrons un aller-simple en Autisterie. Ne nous remerciez pas, c’est cadeau ! »

 

 

 

À la question : d’où vient l’autisme ? C’est en revanche très simple. Personne ne le sait. Longtemps, nos chers amis du courant psychanalytique considéraient que la faute revenait surtout à la maman, une histoire de séparation mal gérée, de froideur, de distance, entre autre. Après avoir meurtri des milliers de mères au cours des dernières décennies tout le monde semble aujourd’hui d’accord pour dire que l’autisme est de cause neurodéveloppementale, ce qui signifie qu’il y aurait une part d’hérédité non négligeable et qu’ensuite les conditions de vie feraient le reste. Il n’y a rien à en dire de plus sous peine de faire comme tout le monde et dire de grosses conneries. Personne ne sait rien de plus. Des pistes oui, des (fameuses) hypothèses oui, des études oui, aussi, des résultats oui, un peu, mais pas trop. Lorsque chaque article plus ou moins scientifique paraissant se voit orner d’un magnifique conditionnel. « Selon des chercheurs pakistanochilien l’autisme serait… ». Il existe des maladies du passé, comme la peste, le choléra. Des maladies qui tentent des come-back, comme la tuberculose. Des maladies du présent, comme le cancer ou le sida. L’autisme est la maladie du conditionnel. C’est un peu pénible mais on finit par s’y faire.

Dans le même genre d’idée nous avons aussi la prévalence qui semble être une donnée relativement variable suivant le lieu et l’espace. En ce moment, elle tourne autour d’une personne sur cent cinquante. Bon, c’est déjà pas mal. Si nous ramenons cette proportion à la population d’un pays, au hasard la France, ça nous ferait pas loin d’un million d’autistes dans les rues. Un peu moins en réalité car il y en a quarante deux et demi ayant eu la chance de trouver une place dans une structure adaptée. Heureusement que tous n’ont pas besoin d’un tel encadrement et parviennent à faire ce qu’ils peuvent pour survivre. En revanche, je suis persuadé que nombreux sont ceux qui comme moi seraient heureux d’avoir la réponse à la question.

 

« Mais quel est le joueur en première base ? ».

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